CHAIRE DE RECHERCHE
DU CANADA SUR LA JUSTICE INTERNATIONALE PÉNALE
ET LES DROITS FONDAMENTAUX

En dernier recours : la Cour pénale internationale et sa juridiction complémentaire

Camille Marquis Bissonnette

Camille Marquis Bissonnette est professeure au département de droit de l'Université du Québec en Outaouais (UQO). Elle est spécialisée en droit international, en sécurité internationale, en droits humains et en droit des réfugiés. Avant son arrivée à l'UQO, elle a réalisé un stage postdoctoral en droit international des réfugiés à l'Université McGill, un doctorat en droit à l'Université Laval, une maîtrise en droit international à l'Académie de droit international humanitaire et des droits humains de Genève et un stage à la Commission de droit international de l'Organisation des Nations unies. Elle a également coordonné la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et des droits fondamentaux pendant ses études doctorales, été étudiante, puis superviseure à la Clinique de droit international pénal et humanitaire et coéditrice du blogue Quid Justitiae. Elle est une chercheure dédiée à mettre en lumière les défauts de protection des personnes marginalisées, vulnérables ou invisibles, et passionnée d'enseignement. Convaincue que le droit doit être un outil au service de la société, elle est également engagée dans la vulgarisation des enjeux juridiques au sein de la population.

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Nom de famille 
Marquis Bissonnette
Prénom 
Camille
19 Février 2013

 

Le principe de complémentarité est l’un des piliers de la Cour pénale internationale (CPI). C’est que l’objectif principal que s’est donné la Cour est la lutte contre l’impunité, étant admis que l’impunité est propice à la multiplication des crimes. Une telle finalité, de toute évidence, ne peut être remplie sans ce principe. Codifié dans le préambule et l’article 17 du Statut de Rome, traité fondateur de la CPI, la complémentarité signifie que, parmi toutes les juridictions nationales et internationales, c’est elle qui intervient en dernier recours pour juger les responsables de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de crimes de génocide. Elle ne peut se saisir d’une affaire que si les États compétents pour le faire n’en ont pas la volonté ou la capacité, et seulement dans la mesure où les suspects n’ont pas déjà été jugés ou ne sont l’objet d’aucune procédure judiciaire pour les mêmes crimes dans une autre juridiction, à moins que les procédures intentées contre eux aient été factices. On rejoint déjà, ici, l’enjeu de la complémentarité, en ce qu’il est difficile d’agir sur la volonté des États d’entreprendre de telles démarches, mais qu’il est toutefois possible de renforcer chez eux leur capacité de juger localement leurs présumés criminels. C’est donc sur cette base que la communauté internationale doit se fonder pour augmenter la capacité globale de la justice internationale.

Le présent texte, profitant de la publicité que fait l’affaire Gaddafi au principe de complémentarité, propose un retour sur la discussion plénière ayant eu lieu lors de la Onzième Assemblée des États parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale à ce sujet. Après un bref retour sur la situation libyenne, les grandes lignes de cette réunion sont ici rapportées.

La complémentarité au cœur de l’actualité

Le principe de complémentarité se pose concrètement en débat aujourd’hui lorsqu’il est question du fils du défunt dictateur libyen, Saif al-Islam Gaddafi, et de l’ex-chef des renseignements du régime, Abdallah al-Senoussi. En effet, saisie de la situation libyenne par  la Résolution 1970 du Conseil de sécurité des Nations Unies en février 2011, la CPI, après une enquête préliminaire, lance des mandats d’arrêt contre ces deux individus, ainsi que contre le chef d’État de l’époque, Muammar Gaddafi. Ceux-ci doivent être jugés pour crimes contre l’humanité, commis au cours de la révolution libyenne de février 2011. En vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, le Conseil de sécurité a le pouvoir, s’il juge qu’il y a menace à la paix et à la sécurité internationales, d’amener une telle situation devant la Cour même si la Libye n’a pas ratifié le Statut de Rome. Il a aussi le pouvoir, dont il use dans la Résolution 1970, d’obliger la Libye à coopérer avec la CPI sur ces cas.

Toutefois, après la chute du régime Gaddafi, le nouveau gouvernement libyen déclare avoir la volonté de juger ces individus. La compétence de la Cour n’étant pas concurrente, mais complémentaire à celle des États, la Libye soulève, le 1er mai 2012, une exception d’irrecevabilité. Cela suspend les procédures alors en cours à La Haye. La Libye doit alors démontrer, devant la CPI, qu’elle a réellement la capacité et la volonté de juger Saif al-Islam Gaddafi et Abdallah al-Senoussi de manière juste et impartiale. À ce jour, la Chambre préliminaire n’a pas encore rendu sa décision, à savoir si ce sera la Libye ou la CPI qui les jugeront.

Ce débat, et c’est pour ces raisons qu’il crée polémique, rejoint l’enjeu de la complémentarité tout en soulevant la question d’une justice impartiale. L’objectif, pour la communauté internationale, est que les crimes les plus graves ne restent pas impunis, mais que les individus qui sont jugés aient droit à un véritable procès.

Juger, si cela est fait dans les règles, les plus hauts dirigeants de l’ancien régime, qui sont soupçonnés d’avoir ordonné le meurtre et la persécution de milliers de civils,  équivaut, pour un État dont les institutions démocratiques sont en construction, à gagner la confiance de la communauté internationale et à faire la paix avec son histoire récente en étant acteur de sa propre justice. À l’inverse, un procès factice mis sur pied par la Libye pour venger les victimes et donner la mort aux présumés responsables empêcherait la communauté internationale et la population libyenne de faire la lumière sur les événements liés à la Révolution tout en bafouant l’idéal de justice supposé guider les procédures. Voilà pourquoi, même si la CPI n’a théoriquement qu’une juridiction de dernier ressort, il est crucial qu’elle s’assure que les objectifs de paix et de lutte contre l’impunité pourront être remplis de manière juste si la situation est déférée à la Libye. Voilà pourquoi, aussi, le principe de complémentarité a des implications plus larges qu’un simple ordre de priorité entre les cours pour juger les présumés criminels; il englobe aussi la responsabilité d’assurer que les procès pour crimes internationaux soient faits dans les règles, en fournissant aux tribunaux, quels qu’ils soient, le support nécessaire pour ce faire.

Onzième Assemblée des États parties : cap sur la complémentarité positive

C’est dans ce contexte que s’est tenue la Onzième Assemblée des États parties de la Cour pénale internationale, rencontre annuelle des États ayant ratifié le Statut de Rome. Cette année, pour la première fois, ceux-ci ont convenu de tenir une discussion plénière au sujet de la complémentarité. Elle s’est tenue le 19 novembre 2012, sous mes yeux, littéralement.

L’année 2012 avait été marquante : la Chambre de première instance de la CPI y avait rendu son premier jugement depuis la naissance de la Cour en 2002, dans le cadre de l’affaire Lubanga. Les critiques à l’égard de la lenteur et des coûts des procédures au sein du seul tribunal pénal international permanent fusent, depuis, nombreuses. Dans ce contexte, naturellement, il y a volonté de recadrer le rôle de la Cour, celle-ci ne pouvant vraisemblablement juger tous les criminels internationaux. C’est en passant par le principe de complémentarité que l’on tente ce recadrage, en mettant l’accent sur le rôle primaire des États pour juger des crimes internationaux et du rôle secondaire de la Cour, celui-ci s’inscrivant principalement dans une logique d’assistance, de support.

Aux dires de la Coalition pour la Cour pénale internationale, si la complémentarité a, cette année, été au centre des discussions au sujet de la justice internationale pénale, elle y avait néanmoins pris une place grandissante depuis la Conférence de révision du Statut de Rome tenue à Kampala en 2010.

La plupart des intervenants à la discussion sur la complémentarité à l’Assemblée des États parties ont voulu rappeler le caractère « exceptionnel » de la juridiction de la Cour, pour reprendre les mots de Fatou Bensouda, procureure de la CPI, lors de son discours de clôture de cette plénière. L’appel a plutôt été lancé pour une concentration des efforts de la communauté internationale vers une amélioration de la capacité judiciaire des États.

C’est ce que l’on appelle complémentarité positive, concept issu du principe de complémentarité. Elle s’inscrit dans une logique de priorisation du jugement des crimes internationaux par des juridictions nationales plutôt que par la CPI,  via la coopération des acteurs internationaux. C’est le moyen que les acteurs de l’Assemblée ont entendu privilégier dans l’optique d’une justice internationale plus efficace, plus active, plus productive. Certains États, dans le cadre de ce forum, ont même soulevé l’importance de ce principe dans une logique de souveraineté étatique et de protection de la culture nationale.

Développement et coopération

A posteriori, il est possible d’identifier deux principaux axes autour desquels la discussion des États s’est développée : le lien entre complémentarité et développement, et la nécessité pour les États de collaborer entre eux pour lutter contre l’impunité.

En ce qui concerne le premier enjeu, certains États, tout en admettant que la Cour n’est pas une agence de développement, ont insisté sur l’expertise, l’expérience et les connaissances en matière de jugement des crimes internationaux qu’elle doit partager. Certains acteurs ont ainsi mentionné la nécessité de faire front commun sur ces deux champs inextricablement liés, voire concurrents, en matière de ressources dans les pays les plus pauvres : la justice et le développement. La présence de l’administratrice du Programme des Nations Unies pour le Développement, Helen Clark, à la plénière sur la complémentarité révèle bien cet angle que l’on a voulu donner à la discussion. Certains États figurant parmi les pays les moins avancés selon le registre de cette organisation internationale ont d’ailleurs mentionné la difficulté pour eux, malgré l’existence dans leur État de la base légale nécessaire au jugement des présumés criminels, de mener à bien une telle entreprise, faute de moyens. En ce sens, la proposition d’inviter la Banque mondiale à une prochaine discussion sur le thème de la complémentarité a aussi été soulevée.

En ce qui concerne la collaboration en matière de justice internationale, les États ont massivement insisté sur la priorisation des juridictions nationales pour juger des présumés criminels internationaux, et donc de l’indissociable nécessité d’entraide qui en découle. Cette coopération est indispensable sur plusieurs plans : la mise en place de législations et de juridictions nationales pour juger les crimes internationaux, le renforcement des systèmes de justice et de leur impartialité, l’extradition des présumés criminels vers les pays où ils seront jugés, la circulation des preuves, la protection des victimes et des témoins lors des procès, et le partage de connaissances et d’expérience relatives au jugement des crimes internationaux. Une telle coopération est entendue reposer sur une meilleure communication entre les acteurs, sur la fourniture d’un support technique, logistique et, évidemment, d’un soutien financier aux pays en développement.

Sur le plan du partage d’information, plusieurs États ont émis le souhait de mettre sur pied une institution permanente pour favoriser la coopération en matière de justice, alors que la quasi-totalité des participants ont exprimé le souhait que, tout au moins, une discussion sur la complémentarité soit renouvelée chaque année lors de l’Assemblée des États parties.

Relativement à la circulation de l’expertise pour le jugement des crimes internationaux, la Norvège a mentionné l’apport des Outils juridiques et du Case Matrix Network mis en place par la CPI dans le but d’offrir un support technique et de l’information pratique aux acteurs nationaux. Ces outils, disponibles gratuitement, sont basés sur l’expérience des tribunaux internationaux ad hoc, de la CPI et de certaines cours de justice étatiques. Ils visent, globalement, à réduire les coûts et à faciliter les procédures, la préparation de la défense ainsi que le rassemblement des preuves et des témoignages pertinents en vue des procès nationaux.

Conclusion

En résumé, lors de la Onzième Assemblée des États parties de la Cour pénale internationale tenue à La Haye en novembre 2012, il semble y avoir eu consensus parmi les divers acteurs de la justice internationale pénale autour de la complémentarité positive. Celle-ci vise à instaurer une responsabilité partagée au sein de la communauté internationale pour favoriser le jugement des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de génocide par les tribunaux nationaux. Étant donné les ressources qu’une telle entreprise occupe, cela implique une coopération en matière d’expertise et d’information, de protection des victimes, de circulation des accusés en plus d’un support logistique et financier. Plus encore, elle implique le devoir pour la communauté internationale de s’assurer, et l’affaire Kadhafi est éloquente en ce sens, que les procès ayant lieu nationalement ne souffrent pas pour autant d’un défaut de justice, la lutte contre l’impunité demeurant l’objectif ultime de la CPI, par l’inexorable biais de sa juridiction complémentaire.

Si le principe de complémentarité positive brille sur papier ou lors de rencontres diplomatiques, le danger en est toutefois qu’il corresponde à une absence d’aide des pays riches aux pays pauvres pour juger leurs présumés criminels, et qu’il y ait donc potentiellement impunité - ou fausse justice - au Sud.

Pour en savoir plus :

Discours de Fatou Bensouda en novembre 2012 devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies

Human Rights Watch, Questions et réponses

 

 

 

 

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