Raymond Ouigou Savadogo
Raymond O. Savadogo détient un Baccalauréat en droit avec distinction (major de promotion), une maitrise en droit international et transnational avec distinction et il a servi à titre de Professionnel de recherche et d’assistant d’enseignement en droit international pénal à la Faculté de droit de l’Université Laval. Ancien étudiant de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et de l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (Bobo Dioulasso-Burkina Faso), il est intervenu à la Cour pénale internationale comme membre pro bonodu Conseil de la défense de Callixte Mbarushimana jusqu’à sa mise en liberté. Par le biais de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, il a également servi comme travailleur contractuel des Outils juridiques de la Cour pénale internationale et a assisté le Conseil des victimes devant les Chambres africaines extraordinaires instituées au sein des tribunaux sénégalais pour juger l’ancien Président tchadien, Hissène Habré. Devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda, il a agi à titre d’assistant du Conseil de la défense de Callixte Nzabonimana de même que du Conseil de la défense des personnes acquittées, à savoir André Ntagerura, Jérôme Clément Bicamumpaka, Gratien Kabiligi et Casimir Bizimungu aux fins de leur réinstallation dans des pays d’accueil. Reçu en 2010 comme stagiaire au Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) et engagé plus tard comme « enquêteur terrain associé » pour une étude Afrobaromètre sur l’éducation citoyenne à la démocratie et aux droits humains, Raymond est passionné du droit international pénal, du droit international humanitaire et du droit international des droits de la personne. Il est aussi récipiendaire de plusieurs honneurs et distinctions et a également représenté l’Université Laval à la 25ème édition du Concours international de droit international humanitaire (Concours international Jean Pictet) qui s’est tenue en Thaïlande en mars 2013. Sa thèse de doctorat portera sur la poursuite des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide devant les juridictions africaines. Suivez-le sur Twitter : @raysava.
Respectivement condamnés en première instance du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) à 24 et 18 ans de prison pour meurtres, actes inhumains et traitements cruels constitutifs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis à l’encontre de la population civile croate d’origine serbe, Ante Gotovina et Mladen Markač ont tous les deux été acquittés de toutes les charges en appel. La Chambre d’appel du TPIY a estimé qu’en première instance, les juges avaient adopté un raisonnement « erroné » en estimant que tout tir d’artillerie qui tombe à plus de 200 mètres d’un objectif militaire est réputé être une attaque dirigée contre la population civile. En sus, elle a également cassé l’argument de la Chambre de première instance selon lequel ces deux accusés auraient participé à une entreprise criminelle commune avec l’ex-président croate Franjo Tudjman, dont le plan criminel visait le déplacement forcé et définitif des civils serbes qui étaient installés dans la région croate de la Krajenia.
Acquittés dans la matinée du 16 novembre 2012, ces deux hommes ont atterri à l’aéroport Pleso Zagreb le même jour, à 16h05, à en croire le magazine Croatia Week. Contrairement aux acquittés du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), les acquittés du TPIY sont considérés dans leurs pays comme des « sauveurs », voire des « braves » ou même des « héros de l’indépendance ». « Gotovina, hailed as a hero at home […]. Their acquittals were greeted with jubilation in the Croatian capital Zagreb where they received a red carpet welcome », ajoute Svebor Kranjc sur Reuters. Toujours selon le magazine croate, ils ont été accueillis dans un climat intense en festivités inouïes par une foule en liesse de plus de 100 000 personnes. Des larmes de joie ont coulé et Zagreb était en ébullition. Selon BBC News,
[c]elebrations here in General Gotovina's hometown went on long into the night. People danced in the main square in front of the church and let off fireworks. Many of them were swathed in large Croatian flags. The bars and cafes in this small seaside town on the Adriatic coast were doing a roaring business. Two girls said they had come all the way from Zagreb - saying that they couldn't stay away. One young man said it was an important moment: "The war actually ended now, I think. The aggression finished in 1995, but the legal issues and everything has finished now." Many Croatians see this acquittal as a vindication - not just for the generals, but for Croatia's reputation [...].
General Mladen Markac (left) General Ante Gotovina (right) (Photo: Jutarnju List)
La situation n’est cependant pas la même au TPIR où aucun acquitté ne veut retourner au Rwanda de peur de menaces, de nouvelles poursuites ou d’atteinte à leur sécurité ou à leur intégrité personnelle. Acquitté le 25 février 2004 en 1ère instance et le 8 février 2006 en appel, André Ntagerura attend aujourd’hui encore que sa situation soit résolue. Plusieurs autres acquittés, dont notamment l’ex-général Gratien Kabiligi (acquitté en décembre 2008), Casimir Bizimungu (ex-ministre de la Santé) et Jérôme Bicamumpaka (ex-ministre des Affaires étrangères du Rwanda), souffrent tous d’un même mal : le cauchemar d’être libre, mais de ne savoir où aller. Ces tribunaux sont pourtant régis par des dispositions similaires et créés par le Conseil de sécurité. Qu’est-ce qui change alors ? Pourquoi Gotovina et pas Ntagerura ?
À mon avis, la raison est liée au contexte. L’éclatement de l’ex-Yougoslavie en plusieurs pays y est pour quelque chose. Ainsi, la Serbie, la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et la Macédoine qui, autrefois, étaient des régions, sont devenus des États indépendants. Alors, quand une personne d’origine croate, bosniaque ou serbe est acquittée par le TPIY, elle ne revient plus cohabiter sur le même sol que son ancien ennemi, mais elle est accueillie chez les siens. Gotovina, qui est un général d’origine croate, ne retourne pas sur le même sol que les Serbes de la Serbie. C’est la raison pour laquelle chaque acquitté du TPIY est accueilli dans sa localité comme un « héros de l’indépendance ». Plus encore, d’aucuns sont pourvus à de grandes fonctions de très hautes responsabilités après leur acquittement. À titre d’exemple, après son acquittement en 2005, la popularité de Sefer Halilović lui a valu un siège au Parlement de Bosnie-Herzégovine à la suite des législatives de 2006 avant même que son acquittement ne soit confirmé le 16 octobre 2007 en appel.
Par contre, dans le cas rwandais, Hutus et Tutsis vivent encore sur le même territoire et sous un même pouvoir politique dirigé par la faction gagnante du génocide de 1994. Contrairement à l’ex-Yougoslavie, il n’y a pas eu éclatement du Rwanda à la suite du génocide et les deux anciens ennemis doivent cohabiter. Pour mémoire, tous les acquittés sont les vaincus de 1994 alors que les vainqueurs sont actuellement au pouvoir. Comme l’a si bien souligné le Greffier du TPIR « [n]ous nous sommes trouvés devant une situation inédite où on ne pouvait pas envoyer des acquittés au Rwanda, pays qu’ils avaient fui ». C’est la raison principale pour laquelle il est hors de question, voire non-envisageable, que ces personnes retournent au Rwanda. La tension qui monte contre ces personnes acquittées se perçoit en partie à travers la réaction du ministre rwandais de la Justice Tharcisse Karugarama à l’acquittement de Protais Zigiranyirazo, surnommé monsieur Z, pour qui « [t]he court has become a place for legal play acting ». Ibuka, qui est une organisation des survivants du génocide a menacé de prendre toutes les mesures nécessaires afin de prévenir la « banalisation du génocide » par le TPIR à travers ses acquittements. Ces tensions ont été beaucoup plus perceptibles après l’acquittement de Bagambiki et de Ntagerura. Le magazine All Africa rapporte que
[a]n estimated 10,000 people turned up on the streets of the south west Rwanda town of Cyangugu on Thursday to demonstrate against the acquittal of two senior leaders from the province on genocide charges by the UN International Tribunal for Rwanda (ICTR).
[…]
Demonstrators carrying placards denouncing "revisionist ICTR", "useless UN" and "Bagambiki the killer" among others matched along the main streets chanting anti-ICTR and anti-UN slogans. The demonstrators called on the ICTR to reconsider the judgement. Leaders of civil society organisations and genocide survivors made speeches denouncing the ICTR, Bagambiki, Ntagerura and Imanishimwe. Demonstrations against the ICTR judgements on Friday also took place in Kigali-Rural province.
[…]
The judgements enraged the Rwandan government and genocide survivors. A communique from the ministry of justice on Thursday "categorically denounced" the decision to acquit Bagambiki and Ntagerura.
Le procureur général du Rwanda, Martin Ngoga, quant à lui, n’a pas hésité à qualifier de « big joke » le représentant du TPIR à la suite de l’acquittement de Ntagerura et Bagambiki. Il a même insisté, « [w]e are very much disappointed, [it was] a very unpopular decision, especially in Cyangugu, and is not without consequences in terms of public confidence in the tribunal ». Selon Human Rights Watch, Bagambiki a été immédiatement condamné in absentia au Rwanda à la perpétuité pour viol constitutif de crime de génocide commis à Cyangugu malgré que les juges du TPIR ont estimé que l’accusation n’a pas réussi à prouver sa responsabilité pénale individuelle dans le massacre de Cyangugu. On est donc très loin du contexte du TPIY où les acquittés sont chaleureusement et triomphalement accueillis à leur retour.