Camille Marquis Bissonnette
Camille Marquis Bissonnette est professeure au département de droit de l'Université du Québec en Outaouais (UQO). Elle est spécialisée en droit international, en sécurité internationale, en droits humains et en droit des réfugiés. Avant son arrivée à l'UQO, elle a réalisé un stage postdoctoral en droit international des réfugiés à l'Université McGill, un doctorat en droit à l'Université Laval, une maîtrise en droit international à l'Académie de droit international humanitaire et des droits humains de Genève et un stage à la Commission de droit international de l'Organisation des Nations unies. Elle a également coordonné la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et des droits fondamentaux pendant ses études doctorales, été étudiante, puis superviseure à la Clinique de droit international pénal et humanitaire et coéditrice du blogue Quid Justitiae. Elle est une chercheure dédiée à mettre en lumière les défauts de protection des personnes marginalisées, vulnérables ou invisibles, et passionnée d'enseignement. Convaincue que le droit doit être un outil au service de la société, elle est également engagée dans la vulgarisation des enjeux juridiques au sein de la population.
L’Assemblée des États parties a été écourtée d’une journée vu la fluidité des discussions, en particulier au sujet du budget, qui a été adopté conformément à la proposition du Comité du budget et des finances, à l’exception de deux modifications. Notre horaire allégé nous a permis, le 21 novembre 2012, de quitter le World Forum, où se tenait l’Assemblée des États parties à La Haye, afin de nous rendre à la Cour pénale internationale (CPI) pour une courte visite de ses locaux temporaires.
Les installations permanentes de la Cour, pour leur part, sont en cours de construction à La Haye. Les travaux ont commencé cette année, en 2012, et devraient se terminer à l’hiver 2015. En effet, le nombre minimal de ratifications nécessaires pour l’entrée en vigueur du Statut de Rome de la Cour pénale internationale – et, par le fait même, pour le début des activités de la Cour - ayant été atteint dix ans plus tôt qu’anticipé, le gouvernement des Pays-Bas a dû aménager des locaux très rapidement pour accueillir le tribunal. La CPI a donc été installée dans un bâtiment alors destiné à une compagnie de télécommunications et trois salles d’audience y ont été ajoutées. Deux caractéristiques des infrastructures physiques de la Cour ont particulièrement défié mes attentes. En effet, malgré que les locaux aient été improvisés, la Cour a néanmoins voulu atteindre deux objectifs majeurs concernant la logistique des procès : l’absence de documents en format papier, on parle ici d’une «e-court», et la protection de l’identité des témoins.
Au sujet de l’appareillage électronique de la Cour, j’ai vu avec étonnement l’ordinateur installé sur le pupitre de chacun des intervenants de la Cour, de l’accusé au juge en passant par le procureur et le greffier. L’utilisation de papier étant évitée au maximum, toutes les preuves, témoignages et documents utilisés durant l’audience sont transmis sur les écrans postés à chaque bureau. Ces écrans permettent aussi de diffuser les images filmées par les caméras. De tels écrans sont aussi disposés à l’avant de la salle destinée au public.
Animés du même désir de découvrir les lieux où le droit international pénal est appliqué, nous sommes allés, le 22 novembre 2012, assister très brièvement au procès de Ratko Mladić, en cours au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), tribunal ad hoc créé par l’Organisation des Nations Unies en 1993 et basé à La Haye. Ce procès qu’il nous a été donné d’observer succinctement vise à juger le chef de l’état major principal de l’armée des Serbes de Bosnie, accusé de crimes de génocide et de crimes contre l’humanité. Nous avons pu constater que les installations du TPIY sont plus ou moins les mêmes en regard des technologies et de la minimisation de l’utilisation du papier que celles de la CPI.
Du côté sécuritaire, bien que l’on doive passer à travers un contrôle de sécurité à notre entrée dans le bâtiment, la CPI est ouverte au grand public, tout comme d’ailleurs le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Les individus voulant observer les procès sont ainsi invités à s’installer dans une pièce adjacente à la salle de cour. Celle que nous avons eu l’occasion de voir est la Chambre 1, la plus vaste des trois. La pièce où se déroule l’audience est séparée de celle où se trouve le public par une grande vitrine.
Ainsi, ne peut être entendu dans cette salle que ce qui est émis dans les micros des différents acteurs du procès. De même, il est possible pour le public d’observer les différents acteurs du procès par la grande vitrine, mais aussi par les écrans disposés à l’avant de la salle. Ceux-ci transmettent les images des différentes caméras qui sont postées dans la salle d’audience. Les observateurs qui se trouvent sur place ont un accès instantané à tout ce qui se passe au prétoire et peuvent aussi bénéficier des traductions, toujours disponibles en français et en anglais, puis dans la langue du témoin et celle de l’accusé. Ils entendent ce qui se dit dans la Chambre grâce à des écouteurs qu’ils doivent porter.
Toutefois, la transmission intégrale aux journalistes, qui se trouvent dans la salle de presse un étage plus bas, et au public du monde entier par une diffusion sur le web, est réalisée avec un délai d’une demi-heure pour laisser le temps au personnel de la Cour de couper certains segments s’il advient que ceux-ci puissent compromettre l’anonymat des témoins et, de ce fait, porter potentiellement atteinte à leur sécurité.
Là ne s’arrêtent pas les mesures de protection et de confidentialité. En effet, si le témoin qui est à la barre a besoin d’une protection accrue, la vitrine entre le prétoire et la salle réservée au public est brouillée. Le témoin est dos au public, face à la Cour, et des rideaux peuvent être avancés de chaque côté pour empêcher tout-à-fait le public de l’identifier. Les différents intervenants de la Cour peuvent utiliser un nom de code pour désigner le témoin lorsqu’il parle au micro si son identité doit rester inconnue du public. Les mesures de confidentialité peuvent aller jusqu’à la distorsion de la voix pour rendre le témoin complètement méconnaissable aux observateurs extérieurs.
D’autres mesures sont aussi à la disposition du témoin s’il ne veut pas être vu de l’accusé. De fait, les rideaux peuvent aussi être tirés plus avant si le témoin ne désire pas voir l’accusé. Il peut aussi livrer son témoignage par vidéoconférence ou à partir d’une salle adjacente, indépendante de la salle d’audience. Ces mesures ne sont toutefois pas réciproques : l’accusé détient évidemment le véritable nom du témoin et peut le voir au minimum sur son écran, dans tous les scénarios envisagés.
Cette garantie de justice constitue sans doute une limite à la protection des témoins à la CPI. C’est pourquoi cette dernière doit parfois prendre certaines mesures pour protéger les témoins et leur famille à l’extérieur de la salle d’audience, même après la fin du procès dans certains cas. Ce problème, qui nécessite l’aide et la coopération des États pour assurer une vie sécuritaire et anonyme à ces personnes dont l’intégrité peut être mise en danger ou soumise à des menaces, a d’ailleurs été l’objet de l’une des présentations auxquelles nous avons assisté dans la cadre de l’Assemblée des États parties de la Cour pénale internationale. Certains membres de la Cour, notamment la greffière, ainsi que des représentants d’institutions impliquées dans ce dossier, y faisaient valoir la nécessité pour les États de signer des ententes de relocalisation des témoins avec la Cour dans le but de la relayer dans ses fonctions de protection et, de manière concrète, accueillir ceux-ci sur leur territoire. À ce jour, seulement deux États ont signé un tel accord avec la Cour.