Geneviève Binette
Geneviève Binette est titulaire d’un baccalauréat en droit de l’Université du Québec à Montréal (LL.B., 2011) au cours duquel elle a réalisé une session d’échange à l’Université libre de Bruxelles en Belgique. Elle a complété le programme de formation professionnelle de l’Ecole du Barreau du Québec en 2012 et a effectué son stage du Barreau au Bureau international du travail (BIT) à Genève où elle a par la suite travaillé comme juriste junior au Département de la protection sociale.
Elle est actuellement candidate à la maîtrise en droit international et transnational à l’Université Laval. À l’automne 2012, elle a collaboré à la rédaction d’un amicus curiae portant sur les activités de surveillance en Colombie avec Avocats sans frontières Canada (ASFC), dans le cadre de sa participation à la Clinique de droit international pénal et humanitaire. Elle s’intéresse particulièrement à la responsabilité sociale des entreprises multinationales en droit international ainsi qu’aux mécanismes de recours pour les victimes de violations de droits de l’homme commises par les entreprises extractives.
En mars 2013, la reddition volontaire du général Bosco Ntaganda, présumé criminel de guerre rwandais actif dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), a pris de court toute la communauté internationale. C’est que depuis la création de la Cour pénale internationale (CPI) en 2002, jamais un accusé ne s’était rendu de son plein gré et n’avait demandé à être transféré à La Haye pour répondre aux accusations de crimes internationaux pesant contre lui. En attendant la confirmation des charges prévue le 10 février prochain, faisons un retour sur l’affaire du « Terminator ».
Le général Bosco Ntaganda, dit le « Terminator », est l’ancien subalterne de Thomas Lubanga, ex-milicien congolais qui dirigeait les Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC). Il échappait depuis maintenant six ans aux mains de la CPI qui avait émis contre lui deux mandats d’arrêt relatifs à des chefs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité présumés commis entre 2002 et 2003 dans la région de l’Ituri en RDC. La condamnation de Thomas Lubanga en 2012 pour les crimes de guerre d’enrôlement et de conscription d’enfants avait accentué la pression de la communauté internationale sur la RDC pour l’arrestation de Ntaganda. Le « Terminator » est aujourd’hui soupçonné d’avoir joué un rôle-clé dans le conflit du Nord-Kivu, une région au nord-est de la RDC et voisine du Rwanda qui était en proie à de violents affrontements opposant l’armée congolaise et les milices et groupes rebelles congolais et rwandais pour le contrôle du territoire et des ressources minières.
Si la CPI avait pu compter sur la collaboration de la RDC pour lui livrer Thomas Lubanga à la suite de l’émission d’un mandat d’arrêt en 2006, il était loin d’être acquis que son co-accusé, Bosco Ntaganda, poserait le pied à La Haye dans un avenir prochain. C’est que les intérêts politiques, économiques et géostratégiques de Joseph Kabila, Président de la RDC, et de son homologue rwandais Paul Kagamé, présageaient une longue cavale du « Terminator ». Pourtant, c’est contre toute attente que Bosco Ntaganda s’est livré à l’ambassade des États-Unis à Kigali, le 18 mars 2013, afin de faire face à la justice internationale. Le présumé criminel de guerre aurait-il était acculé au pied du mur ?
Le soutien de longue date du Président Kabila
Si l’arrestation du milicien par la RDC relevait du fantasme, cela s’explique en partie en raison des liens étroits qui unissent le régime de Joseph Kabila au « Terminator ». En 2002, Ntaganda rejoint l’Union des patriotes congolais dans le district de l’Ituri et passe trois ans en tant que chef des opérations militaires de Thomas Lubanga. Il rejoint ensuite le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) sous la direction de Laurent Nkunda et, avec le soutien du Rwanda, renverse ce dernier pour prendre la direction de la milice du CNDP. Bien que d’ores et déjà recherché pour crimes de guerre en 2009 par la CPI, Ntaganda sert en tant que soldat aux côtés du Président Kabila et est promu général ! Aux dires de certains, Bosco Ntaganda en savait beaucoup trop sur le régime Kabila pour que le Président congolais ait intérêt à le mettre sur la voie de La Haye, avec le risque que d’autres acteurs de ce régime soient éventuellement traduits devant la CPI. Ntaganda avait même affirmé être disposé à « répondre au mandat de la CPI à condition que Kabila soit également convoqué car [il] dispos[ait] d’éléments suffisants prouvant qu’il [était] impliqué dans les tueries, étant le commanditaire des évènements en Ituri et dans le Nord-Kivu ».
Le soutien de Kinshasa à Ntaganda s’expliquait aussi par le rôle-clé que jouait le « Terminator » dans le contrôle des ressources naturelles en RDC. Sans contredit, le mot « minerais » met inévitablement l’eau à la bouche de nombreux dirigeants. En effet, il est fort à parier que le Président Kabila aurait eu intérêt à garder le « Terminator » dans ses rangs compte tenu du pouvoir qu’il avait acquis dans le contrôle des minerais au Nord et Sud-Kivu. Par ailleurs, certains médias congolais allaient jusqu’à prétendre que Bosco Ntaganda se cachait dans une résidence privée du Président Kabila à Kinshasa.
L’appui du Rwanda à la milice de Ntaganda
Le Rwanda, voisin de la RDC et impliqué dans le conflit au Nord-Kivu, avait-il l’obligation de coopérer avec la CPI en ce qui concerne l’arrestation du général rwandais ? Non, dans la mesure où le Rwanda n’est pas un État partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (Statut de Rome). Toutefois, de nombreuses pressions avaient été exercées pour que le régime de Paul Kagamé mette lui aussi la main à la pâte dans l’arrestation de ce chef de milice.
Mais qu’en était-il de la position officielle du régime Kagamé face au rôle que devait jouer Kigali dans l’arrestation de Bosco Ntaganda ? La réponse pouvait se résumer simplement au concept de non-ingérence : « [c]’est une affaire qui concerne le Congo et non le Rwanda », et « les problèmes congolais doivent être gérés par les Congolais », affirmait Paul Kagamé quant à la situation au Nord-Kivu. Comment expliquer cette position si tranchée sur le rôle du Rwanda relativement à l’arrestation du « Terminator » ? Et quels sont les intérêts derrière celle-ci ? Une partie de la réponse était venue des Nations Unies et avait eu l’effet d’une bombe.
Cela remonte à juin 2012. Un groupe d’experts sur la RDC relevant du Conseil de sécurité des Nations Unies et chargé de surveiller l’application de l’embargo sur les armes, publiait un rapport accablant pour le gouvernement rwandais. Ce rapport avançait que les autorités rwandaises avaient apporté « un soutien direct » à la création d’une récente milice, le M23, afin qu’elle combatte les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), l’armée régulière congolaise, dans le Nord-Kivu. Le M23 (pour Mouvement du 23 mars 2009) est une milice composée de rebelles du CNDP ayant fait défection à la suite de l’échec d’un accord de paix. Le soutien du Rwanda à la mutinerie du M23 aurait pris la forme d’assistance directe à sa création, de recrutement, de fourniture d’armes et de munitions et d’interventions directes des Forces de défense rwandaises (FDR) sur le territoire congolais afin de renforcer la milice. Les Nations Unies vont même jusqu’à pointer du doigt le ministre de la Défense du Rwanda, James Kabarabe, comme maillon principal de la chaîne de commandement du M23. Évidemment, le régime Kagamé a nié en bloc les accusations des Nations Unies.
Ancien chef du CNDP, Ntaganda assumait très probablement le commandement du M23, nouvelle milice issue du CNDP. C’est d’ailleurs l’avis des Nations Unies qui soutiennent que « la chaîne de commandement du M23 inclut le général Bosco Ntaganda ». Si le « Terminator » assumait ainsi un rôle phare au sein de la rébellion du M23 et que cette mutinerie est l’œuvre du Rwanda, Kigali n’avait aucun intérêt à collaborer à son arrestation. Arrêter la tête dirigeante du M23 aurait eu pour effet direct d’affaiblir le mouvement qui assure la mainmise du Rwanda sur le contrôle des ressources minières congolaises; le Rwanda constituant une véritable plaque tournante pour le commerce illicite de minerais. L’ONG britannique Global Witness révélait d’ailleurs que des minerais comme l’étain et le tantale sont transportés clandestinement de la RDC vers le Rwanda et le Burundi, puis blanchis à travers le système d’étiquetage national rwandais pour être ensuite exportés en tant que produits rwandais « propres ».
Ntaganda lâché par Kigali ?
Comment expliquer la reddition volontaire à l’ambassade américaine à Kigali d’un chef de milice recherché depuis plus de six ans par la CPI ? Le « Terminator » aurait-il été lâché par le Rwanda ? Serait-ce le poids politique des récentes révélations de l’ONU sur l’aide du Rwanda à la création du M23 qui aurait ébranlé le soutien rwandais à Ntaganda ?
Plusieurs sources soutiennent que Bosco Ntaganda était astreint. Ce dernier aurait été arrêté dans son avancée par les milices hutues des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). En raison « d’un manque de munitions et de logistique » face à son rival Sultani Makenga, il aurait fini par traverser la frontière rwandaise.
La fin de la cavale du « Terminator » pourrait ainsi être en lien avec les affrontements armés qui ont eu lieu au sein même des factions du M23 dans le Nord-Kivu. Aux dires de Tony Gambino, ancien président de USAID en RDC, « la meilleure supposition est que ses solutions se sont réduites à [choisir entre] La Haye ou se faire tuer ». Les rébellions au sein de sa propre milice auraient donc eu raison du « Terminator ».
Soulignons que les États-Unis, en tant qu’État non-partie au Statut de Rome, n’avaient pas d’obligation formelle de procéder au transfert du présumé criminel de guerre vers La Haye. La coopération des États non membres sur une base volontaire est néanmoins encouragée par les dispositions du Statut de Rome. Il est soupçonné que cette reddition ait été préparée par Kigali, avec le soutien de Washington.
L’heure tant attendue de la confirmation des charges
Bosco Ntaganda a d’ores et déjà fait face à l’audience de première comparution. Au cours de celle-ci, son identité a été vérifiée et la juge Ekaterina Trendafilova, présidente de la Chambre préliminaire II, s’est assurée qu’il avait été informé des crimes qui lui sont reprochés, soit sept chefs de crime de guerre et trois chefs de crime contre l’humanité. Soulignons toutefois que les chefs d’accusation qui pèsent contre Ntaganda remontent au début des années 2000 et ne concernent que les crimes commis dans l’Ituri et non ceux du Kivu.
L’audience de confirmation des charges prévue le 10 février prochain servira à « déterminer s’il y a des motifs substantiels de croire que le suspect a commis des crimes ». Dans ce cadre, l’Accusation doit développer chacune des charges munie d’éléments de preuve suffisants et la Défense pourra contester celles-ci et présenter à son tour ses éléments de preuve. Si les charges sont confirmées, la Chambre préliminaire renverra l’affaire devant une Chambre de première instance qui aura pour fonction de débuter le procès. Parions que près d’un an après la reddition inespérée du « Terminator », l’intérêt porté pour l’affaire Le Procureur c. Bosco Ntaganda ne fera pas l’ombre d’un doute.
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