CHAIRE DE RECHERCHE
DU CANADA SUR LA JUSTICE INTERNATIONALE PÉNALE
ET LES DROITS FONDAMENTAUX

La lutte contre l’impunité du Président soudanais Omar Al-Bashir et les difficultés relatives à son arrestation par la Cour pénale internationale

Sandrine De Sena Lelo Pessoa

Sandrine De Sena Lelo Pessoa a exercé à temps plein la fonction de Case Manager au sein de l’équipe de Défense de M. Bosco Ntaganda à la CPI d’août 2016 à mars 2019 après y avoir travaillé en tant qu’assistante juridique pro bono de janvier à juillet 2016. Actuellement doctorante en droit international pénal à l’Université Panthéon-Assas sous la codirection de Fannie Lafontaine et Julian Fernandez, elle s’intéresse à « la pratique des droits de la Défense devant la Cour pénale internationale ».

Sandrine De Sena Lelo Pessoa was a full-time Case Manager in Mr. Bosco Ntaganda's Defence Team at the ICC from August 2016 to March 2019 after working as a pro bono legal assistant from January to July 2016. Currently a PhD candidate in international criminal law at the University Panthéon-Assas under the co-directorship of Fannie Lafontaine and Julian Fernandez, she is writing her thesis on "the practice of defence rights before the International Criminal Court".

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Nom de famille 
De Sena Lelo Pessoa
Prénom 
Sandrine
3 Juillet 2014

 

Regard sur la saisie du gouvernement de Kinshasa par la CPI relativement à l’arrestation d’Omar Al-Bashir

Par Sandrine De Sena Lelo Pessoa

C’est le 25 février 2014 que le Président soudanais en exercice Omar Al-Bashir s’est rendu à Kinshasa pour le Sommet des chefs d’État et de gouvernement du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), ouvert par le Président congolais Joseph Kabila. La demande de la Cour pénale internationale (CPI) à la République démocratique du Congo (ci-après « RDC ») de procéder à l’arrestation du Président Omar Al-Bashir est l’occasion de revenir sur la problématique de son arrestation, compte tenu du fait qu’il s’agit d’un président en exercice d’un État non partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (« Statut de Rome »).

 

La lutte contre l’impunité du chef de l’État Omar Al-Bashir par la Cour pénale internationale

Le droit international pénal est un ensemble de règles autorisant les États, ou leur imposant l'obligation, de poursuivre et de punir les comportements délictueux. Ces règles visent à interdire certaines catégories d’actes et rendre pénalement responsables les personnes qui se livrent à de tels comportements[1].

Dès lors, en vertu de l’article 27 du Statut de Rome de la CPI :

1. Le présent Statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d’État ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un État, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine.

2. Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de cette personne.

Il convient de mettre en avant la distinction traditionnelle entre les immunités fonctionnelles et les immunités personnelles. D’une part, les immunités fonctionnelles relatives à la compétence ratione materiae visent la personne qui agit en sa qualité officielle de représentant de l’État, mais aussi les anciens fonctionnaires, et sont limitées aux actes liés aux fonctions. Elles sont caractérisées par leur permanence et leur obstacle aux poursuites. Cette immunité ne peut prévaloir lorsqu’un chef d’État est accusé de crimes internationaux, car de tels actes ne peuvent être considérés comme étant « officiels » parce qu’ils violent les normes de jus cogens[2]. D’autre part, les immunités personnelles relatives à la compétence ratione personae visent la personne qui agit à titre privé pendant la durée de son mandat mais prennent fin au terme de ce dernier.

Au regard de cette disposition, les immunités personnelles ne tiennent pas face à la perpétration de crimes internationaux. Toutefois, le Soudan n’ayant pas ratifié le Statut de Rome, il n’est donc pas lié par cette disposition qui aurait eu pour conséquence de retirer au Président Omar Al-Bashir son immunité personnelle. De plus, le principe selon lequel les immunités personnelles ne tiennent pas face à la perpétration de crimes internationaux ne fait pas encore partie du droit international coutumier en raison de la haute importance du maintien des relations internationales. Il s’agit ici du maintien de relations internationales cordiales et du respect de la souveraineté des États.

Cependant, le Conseil de sécurité des Nations Unies peut passer outre le droit international coutumier en matière d’immunités et retirer l’immunité personnelle dont bénéficie un chef d’État ou un représentant du gouvernement. En ce sens, depuis la résolution 1593 (2005) adoptée par le Conseil de sécurité, la CPI peut légalement poursuivre Omar Al-Bashir, bien qu’il s’agisse d’un Président en exercice[3].

 

L’obligation émise à l’égard du gouvernement de Kinshasa de répondre au mandat d’arrêt émis par la CPI

Le premier mandat d’arrêt délivré par la CPI à l’encontre du Président soudanais Omar Al-Bashir remonte au 4 mars 2009. À la suite du renforcement du dossier du Procureur relativement à la constitution des preuves touchant la perpétration du génocide au Darfour, un second mandat d’arrêt fut délivré le 12 juillet 2010.

En raison du mandat d’arrêt émis par la CPI à l’encontre du Président soudanais en exercice, ce dernier se déplace uniquement sur le continent africain, ayant la certitude qu’aucun de ses homologues africains ne prendrait le risque de causer un incident diplomatique en le livrant à La Haye.

Cependant, en vertu du Chapitre 9 du Statut de Rome relatif à la coopération des États, il existe bien une obligation pour les États parties de répondre aux mandats d’arrestation émis par la CPI lorsque la personne qui en est le sujet se trouve sur le territoire de cet État. Ce fut le cas lorsqu’Omar Al-Bashir se rendit sur le territoire de la RDC, le 25 février 2014.

Le gouvernement de la RDC fut immédiatement contacté par La Haye, lui demandant expressément d’arrêter Omar Al-Bashir et d’opérer son transfert. Comme l’a souligné Dismas Kitengue, Président du Groupe Lotus et Vice-Président de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme, « [t]he DRC must show that it is on the side of victims of crimes against humanity, war crimes and genocide and arrest Al-Bashir ».

Cette obligation du gouvernement congolais fut par ailleurs rappelée par Georges Kapiamba, Président de l’Association congolaise d’accès à la Justice selon lequel le « Congo as an ICC member has an obligation to arrest and transfer President Al-Bashir to The Hague, where he is wanted for crimes against humanity and war crimes ».

Il faut savoir que cette visite constituait une occasion presque unique d’arrêter Omar Al-Bashir, car de nombreux autres pays africains qui auraient pu accueillir dans le passé Omar Al-Bashir sur leur territoire ont toujours demandé à ce que d’autres représentants soudanais se présentent à la place du Président soudanais afin d’éviter d’être confronté à une telle situation d'embarras.

Malgré la signature de près de 90 associations en RDC appelant le gouvernement à répondre à ses obligations en vertu du Statut de Rome, il semblerait que le gouvernement du Président Joseph Kabila refuse catégoriquement d’arrêter et de transférer Omar Al-Bashir.

Pourtant, les premières enquêtes réalisées par la CPI eurent lieu avec le Président Joseph Kabila et la RDC a coopéré dans le cadre de six affaires en arrêtant et livrant trois accusés à La Haye. Il convient donc de comprendre et d’analyser successivement les raisons ayant poussé l’Union africaine (UA) et le gouvernement de Kabila à ne pas soutenir l’arrestation du Président soudanais en exercice.

 

Le refus de coopération de l’Union africaine avec la CPI relativement à l’arrestation d’Omar Al-Bashir en raison de l’incertitude liée aux termes de l’article 98 (1) du Statut de Rome

Il est intéressant de noter qu’il existe, au sein même du Statut de Rome, une contradiction entre deux dispositions. En effet, selon l’article 98(1) du Statut de Rome :

[l]a Cour ne peut poursuivre l’exécution d’une demande de remise ou d’assistance qui contraindrait l’État requis à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit international en matière d’immunité des États ou d’immunité diplomatique d’une personne ou de biens d’un État tiers, à moins d’obtenir au préalable la coopération de cet État tiers en vue de la levée de l’immunité.

Il y a une très grande contradiction entre ce dernier article et l’article 27 précité. En effet, l’article 27 lève l’immunité de tous les officiels des États parties alors que l’article 98(1) semble sauvegarder ce principe d’immunité en disposant qu’un État partie au Statut de Rome ne peut pas être contraint d’arrêter le ressortissant d’un État tiers si ce dernier bénéficie d’une immunité. Tout le débat se joue autour de la question de cet État tiers. En effet, s’agit-il d’un État tiers non partie au Statut de Rome ou tout État (partie ou non partie) autre que l’État hôte de la personne immunisée ?

Il s’agit d’une incertitude de termes exploitée par l’UA afin que la CPI abandonne les poursuites engagées contre le Président en exercice Omar Al-Bashir.

En effet, l’UA interprète l’« État tiers » comme un État non partie. Si l’interprétation retenue de l’« État tiers » faisait référence à tous les États autres que l’État hôte, l’article 98 empêcherait de donner toute sa portée à l’article 27 du Statut de Rome. Cela impliquerait dès lors l’impossibilité pour la CPI d’obliger un de ses États parties à procéder à l’arrestation du Président de la République du Soudan.

Malgré son indépendance déclarée, la principale faiblesse de la CPI est qu’elle repose sur la coopération des États et ne peut mettre en œuvre, de sa propre volonté, les mandats d’arrêts qu’elle délivre. Elle dépend donc de la bonne volonté des États qui accepteront d’arrêter et de remettre les personnes accusées à La Haye.

En septembre 2013, les États-Unis avaient été invités par la CPI à arrêter et transférer Omar Al-Bashir à La Haye dans le cadre d’une visite du Président sur le territoire américain. Bien que les États-Unis ne soient pas partie à la Cour, ils peuvent coopérer sur une base ad hoc. En fin de compte, le mandat d’arrêt de la CPI ne fut pas exécuté.

 

Les raisons du refus du gouvernement de Kabila d’arrêter et de transférer Omar Al-Bashir à La Haye

Sans compter les raisons de politiques internes qui pourraient expliquer l’absence de volonté du gouvernement congolais d’arrêter et de transférer Omar Al-Bashir à La Haye, il convient de noter trois raisons majeures expliquant la décision du gouvernement de Kabila.

D’une part, bien que le Président Joseph Kabila ait une obligation de répondre au mandat émis par la CPI en raison de la signature du Statut de Rome, le Président a également une obligation à l’égard de la résolution prise par l’UA selon laquelle les immunités doivent être maintenues pendant le mandat d’un chef d’État en exercice.

En effet, selon la décision de l’Union africaine datant du 12 octobre 2013, « aucune poursuite ne doit être engagée devant un tribunal international contre un chef d’État ou de gouvernement en exercice ou toute autre personne agissant ou habilitée à agir en cette qualité durant son mandat ».

D’autre part, le maintien de relations internationales cordiales est une raison non négligeable à prendre en considération, car face à la situation d’ores et déjà instable de la RDC, le fait d’arrêter Omar Al-Bashir et de le livrer à la CPI aurait fortement augmenté le risque d’un incident diplomatique entre la RDC et le Soudan ainsi qu’entre la RDC et les autres États africains présents au sommet du COMESA. De fait, lorsque l’on accueille un chef d’État, il est difficile de l’arrêter sans créer un incident diplomatique, car il s’agit d’un homologue qui mérite le respect dû à son rang. Il convient de noter que l’on retombe inévitablement dans le débat « paix ou justice », car la volonté d’instaurer la justice peut mener à l’accroissement de guerres civiles.

Par ailleurs, le gouvernement de Kinshasa avait des obligations à l’égard de l’organisation du COMESA. Comme l’a souligné le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, « la République Démocratique du Congo a des obligations vis-à-vis de l’organisation régionale, Comesa, qui a invité le président Al-Bashir à venir participer à un sommet à Kinshasa ». Pour le porte-parole du gouvernement, « cela ne veut pas dire que les autorités congolaises refusent de coopérer avec la CPI ». Il souligne que « la RDC s'aligne seulement derrière une position claire de l'Union africaine par rapport aux mandats d'arrêts émis contre les chefs d'État en exercice ».

Enfin, les tensions qui animent la crise entre la CPI et l’UA se trouvent finalement au cœur du débat visant l’arrestation ou non du Président soudanais car l’Union africaine s’est prononcée contre l’arrestation d’un chef d’État en exercice. Le sentiment de certains États africains selon lequel « il est primordial de préserver la dignité d’un dirigeant en exercice et de son peuple en évitant de le ‘traîner’ devant la CPI pendant la durée de son mandat » fut notamment rappelé au cours de la 12e  session de l’Assemblée des États Parties.

Il semblerait donc que le gouvernent de Kabila ne fasse que respecter et renforcer la position de l’UA à ce sujet. Dans l’hypothèse où Kinshasa aurait rempli son obligation à l’égard de la CPI et aurait livré Omar Al-Bashir à La Haye, d’autres gouvernements africains auraient certainement condamné le geste de la RDC, provoquant l’instabilité du continent.

 

La décision de la Chambre préliminaire en date du 9 avril 2014 condamnant la RDC pour manquement à son obligation d’arrêter et de transférer Omar Al-Bashir à La Haye

Le 9 avril 2014, la Chambre préliminaire a condamné la RDC pour avoir manqué à son obligation d’arrêter et de transférer Omar Al-Bashir à La Haye. La RDC a fait valoir qu’elle n’était pas tenue d’exécuter la demande d’arrestation et de transfert d’Omar Al-Bashir sur la base de l’article 98 (1) du Statut de Rome. Dans le cadre de cette disposition, la Cour peut uniquement émettre une demande d’assistance ou de coopération d’un État membre après avoir obtenu une renonciation aux immunités de la part de l’État tiers concerné. Étant donné que la Cour n’a pas obtenu la levée des immunités de la part du Soudan, la RDC a affirmé qu’elle n’avait pas à se conformer à la demande de la Cour.

En dépit de cela, l’argument de la RDC a été rejeté par la Chambre préliminaire aux motifs que la prescription de l’article 98 (1) était assurée par la résolution pertinente du Conseil de sécurité en vertu de laquelle ce dernier « a implicitement renoncé à l’immunité accordée à Omar Al-Bashir en vertu du droit international ». En conséquence, la RDC qui était tenue d’arrêter et de transférer Omar Al-Bashir a violé son obligation en tant qu’État partie au Statut de Rome.

La professeure Paola Gaeta considère que le raisonnement suivi par la Chambre préliminaire est basé sur une interprétation erronée de l’article 98 (1) du Statut de Rome. Selon cette disposition, la Cour ne peut pas procéder à des demandes de coopération qui mettrait l’État requis en position d’agir d’une manière incompatible avec ses obligations relatives aux immunités à l’égard des États tiers « à moins que la Cour [ait] en premier lieu obten[u] la coopération de cet État tiers qui aurait levé les immunités ». Or, la Cour n’a pas obtenu la coopération du Soudan relative à la levée de l’immunité d’Omar Al-Bashir.

La Cour considère pourtant qu’à chaque fois que le Conseil de sécurité déclenche sa compétence, les États qui ne sont pas parties au Statut de Rome se retrouvent liés à celui-ci par le renvoi du Conseil de sécurité. Par conséquent, le Soudan serait obligé d’accepter que la Cour exerce sa compétence conformément au Statut de Rome. Or, comme le met en avant la professeure Paola Gaeta dans le billet cité précédemment, « le renvoi d’une situation à la Cour par le Conseil de sécurité ne constitue qu’une des conditions de l’exercice par la Cour de sa compétence pénale ». Il convient donc de considérer que dans cette affaire, la CPI serait en tort.

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Ce billet ne lie que le(s) personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.

           

 

[1] Casseses International Criminal Law, sous la direct. de A. CASSESE et P. GAETA; L. BAIG, M. FAN, C. GOSNELL, et A. WHITING, Oxford : Oxford University Press, 2013, troisième édition, p. 4.

[2] Chacha Bhoke MURUNGU, « The trial of Charles Taylor: Conflict prevention, international law and an impunity-free Africa », Institute for Security Studies Occasional Paper 27, 2006, p.8-10.

[3] Dan TERZIAN, « Personal immunity and President Omar Al Bashir : An Analysis Under Customary International Law and Security Council Resolution », UCLA Journal of International Law & Foreign Affairs, 2011, p. 300.

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