Julia Grignon
Julia Grignon est professeure à la faculté de droit de l’Université Laval et Chercheuse à l’Institut de Recherche Stratégique de l’Institut de l’École Militaire (IRSEM). Elle est spécialisée en droit international humanitaire et dirige Osons le DIH !, un développement de partenariat pour la promotion et le renforcement du droit international humanitaire. Elle est codirectrice de la Clinique de droit international pénal et humanitaire.
Consultez le profil complet de la professeure Grignon.
Jérôme Massé
Jérôme Massé est avocat et candidat à la maîtrise en droit international. Il est diplômé de l’Université Laval (LL.B., 2010) et de l’Université d’Ottawa (J.D., 2012).
Au cours des sessions d’hiver et d’été 2013, il a participé aux activités de la Clinique de droit international pénal et humanitaire en soutenant les travaux du Bureau du Président du Tribunal Spécial pour le Liban. Il continue son implication cette année en collaborant au Projet « Outils Juridiques » de la Cour pénale internationale.
Il a par ailleurs été sélectionné pour représenter la faculté de droit de l’Université Laval à l’édition 2014 du concours de droit international humanitaire Jean-Pictet.
En cette période où, dans la petite sphère humanitaire, les anniversaires et les célébrations se succèdent (12 août : 65 ans des Conventions de Genève, 22 août : 150 ans de la première Convention de Genève et de l’action humanitaire), aujourd’hui, 2 septembre 2014, Jean Pictet aurait eu cent ans.
C’est l’occasion de commémorer un homme illustre, qui, comme aucun autre sans doute depuis Henry Dunant, a joué un rôle essentiel dans l’élaboration et le développement du droit international humanitaire contemporain.
L’homme
Comme un présage d’une vie qui sera consacrée au droit international humanitaire, Jean Pictet voit le jour à Genève, en Suisse, quelques semaines seulement après le début de la Première Guerre mondiale.
22 ans plus tard, formation juridique en poche (Université de Genève, promotion de 1935), il intègre le Comité International de la Croix-Rouge (CICR), en tant que secrétaire-juridique. Au sein de cette institution, il exercera par la suite les fonctions de Directeur (nommé en 1946), Directeur général (nommé en 1966), Président de la commission juridique (nommé en 1967) puis Vice-président (1971-1979), poste qu’il occupera d’ailleurs jusqu’à sa retraite.
Parallèlement à cet engagement de tous les jours au sein du CICR, Jean Pictet mène une activité académique importante, d’abord comme chargé de cours, puis comme professeur associé à la Faculté de droit de l'Université de Genève (1965-1979). À l’occasion, il enseigne également à l'Académie de droit international de La Haye et sous les auspices du Conseil de l'Europe à Strasbourg en plus de diriger l’Institut Henry-Dunant et de publier de nombreux ouvrages et articles.
Jean Pictet est décédé en 2002. Il avait 88 ans. Mais son œuvre est encore bien vivante aujourd’hui.
L’œuvre
Au cours des 42 ans qu’il passe au service du CICR, Jean Pictet met son expertise ainsi que ses qualités de juriste et de rédacteur à la disposition de cette institution pour laquelle il sera l’un des plus fidèle ambassadeur, participant activement à des conférences diplomatiques, à des groupes d'experts, à des réunions d'études, etc.
Au premier chef des faits saillants de cette carrière dévouée au droit international humanitaire figure sans nul doute l’élaboration des Conventions de Genève de 1949 puis des Protocoles additionnels de 1977 dont on lui attribue même parfois la paternité.
En 1949, Jean Pictet a 35 ans et il est membre de la délégation du CICR à la Conférence diplomatique qui doit aboutir à la rédaction des Conventions de Genève, socle fondamental du droit international humanitaire depuis. De façon générale, les projets de texte sur lesquels travaillent les États lors de la Conférence diplomatique sont ceux qui ont été élaborés par le CICR, dont Jean Pictet est alors Directeur; son influence est donc palpable en filigrane. Mais plus encore, à la lecture, non seulement des travaux préparatoires de la conférence diplomatique elle-même, mais également des résumés des travaux qui avaient commencé plusieurs années auparavant, il est aisé de constater l’influence considérable personnelle de Jean Pictet sur la compréhension du droit international humanitaire par les délégations gouvernementales et par conséquent, in fine, sur la formulation des dispositions contenues dans les Conventions de Genève de 1949.
Ses interventions lors des débats sont nombreuses. Parfois, Jean Pictet introduit la discussion sur un point précis, afin de recontextualiser pour les délégations présentes le bien-fondé de l’adoption de telle ou telle disposition. En particulier, il est le détenteur de la mémoire rédactionnelle des Conventions puisqu’il était présent à la conférence d’experts gouvernementaux convoquée en 1947 qui avait entamé le travail de refonte des Conventions de Genève, et à la conférence de Stockholm de 1948, au cours de laquelle les discussions en la matière s’étaient poursuivies. D’autres fois, il prend la parole pour proposer des définitions, ou encore pour rappeler le droit existant en la matière, à la lumière notamment des Conventions de La Haye adoptées précédemment, ou des Conventions de Genève de 1929 portant sur les blessés et malades et sur les prisonniers de guerre. Ce faisant, Jean Pictet joue le rôle de gardien de la cohérence historique du droit international humanitaire, mais aussi de la cohérence des Conventions entre elles. Ce sont quatre Conventions qui sont adoptées en 1949, chacune protégeant une catégorie spécifique de personnes : la première protège les blessés et malades dans les armées en campagne, la deuxième les naufragés, la troisième les prisonniers de guerre et la quatrième les personnes civiles. Il est donc nécessaire de faire en sorte que les régimes de protection s’articulent correctement entre eux. Pour ce faire la vision globale de Jean Pictet est essentielle puisqu’il peut, lorsque nécessaire, rappeler aux délégations ce que prévoit telle Convention lors de discussions portant sur telle autre. Il veille également à la cohérence à l’intérieur de chacune des Conventions en pointant du doigt les éventuelles contradictions qui pourraient se faire jour si un amendement proposé par une délégation devait être adopté, par exemple. En outre, à l’occasion, Jean Pictet prend la parole à la manière d’un délégué gouvernemental, pour marquer son accord ou son désaccord avec l’une ou l’autre des formulations proposées. À cet égard, il faut souligner que si Jean Pictet intervient bien évidemment souvent lorsque sont en jeu des questions opérationnelles importantes pour le CICR ou pour les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, il s’assure également que les enseignements des conflits précédents sont bien pris en compte dans toutes sortes de domaines.
Non satisfait de ce rôle prédominant joué à l’occasion de l’élaboration des Conventions de Genève, Jean Pictet entreprend dans les années qui suivent la publication d’une série de commentaires des Conventions de Genève. Ce travail est titanesque. En effet, chacune des dispositions des Conventions est commentée, à la lumière de son contexte historique et des débats qui ont lieu lors de la Conférence diplomatique de 1949. Ces commentaires jouissent depuis d’une autorité toute particulière en droit international. Alors qu’ils peuvent être considérés comme un simple instrument doctrinal, ils sont pourtant souvent cités en référence comme étant l’expression même du droit international humanitaire. Or, ceci a de particulier que pour certaines dispositions le commentaire de Jean Pictet va considérablement plus loin que la disposition elle-même. Et lorsque c’est la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux, par exemple, qui reprend la vision de Jean Pictet sur tel ou tel aspect, on prend alors la mesure de l’influence que joue encore aujourd’hui sa pensée sur la compréhension du droit international humanitaire. Parus entre 1952 et 1959, ces commentaires font actuellement l’objet d’une double refonte : une refonte institutionnelle par le CICR lui-même qui a entrepris de les réviser dans leur intégralité (selon l’échéancier suivant : 2015 Convention de Genève I, 2016 Convention de Genève II, 2017 Convention de Genève III et 2018 Convention de Genève IV) et une refonte académique qui prendra la forme d’un ouvrage collectif à paraître très prochainement chez Oxford University Press.
Dans l’œuvre majeure de Jean Pictet s’inscrit également l’étude qu’il a proposée des principes fondamentaux de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Après qu’il en ait eu systématisé dix-sept, dont certains ont directement trait à la mission du Mouvement international de la Croix-Rouge alors que d’autres sont davantage « organiques » en ce qu’ils sont relatifs au fonctionnement du Mouvement, sept d’entre eux sont adoptés à l’unanimité à l’occasion de la vingtième Conférence internationale de la Croix-Rouge en 1965. Ces principes, Humanité, Impartialité, Neutralité, Indépendance, Volontariat, Universalité et Unité sont les sept principes qui guident toute l’action du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Jean Pictet en a proposé un commentaire détaillé auquel on continue de faire référence aujourd’hui. Ces principes sont en outre à l’origine des principes de l’action humanitaire que l’on retrouve dans Le Code de conduite pour le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et pour les ONGs lors des opérations de secours en cas de catastrophe, adopté par plusieurs centaines d’agences et d’organisations humanitaires depuis son élaboration en 1994.
2015 sera d’ailleurs l’occasion de célébrer leur 50ème anniversaire et tout porte à croire qu’ils seront placés au cœur de la réflexion du Mouvement, et plus largement de la communauté humanitaire, afin de continuer à les faire vivre pleinement.
L’héritage
En plus de l’héritage qu’il a laissé par son passage remarqué au sein du CICR et par ses activités académiques, le nom de Jean Pictet continue encore aujourd’hui de raisonner aux oreilles des nouvelles générations de juristes. De son vivant, Jean Pictet a en effet donné avec enthousiasme son nom à un Concours de droit international humanitaire. Créé en 1989, le Concours de droit international humanitaire Jean-Pictet a permis, au cours des 25 dernières années, à plus de 2500 étudiants mus par la volonté de « s’amuser, rencontrer et concourir » de faire « sortir le droit des livres » en participant à simulations et des jeux de rôles ayant pour objectif l’apprentissage du droit international humanitaire. De ce nombre, on estime aujourd’hui que plus de 500 travaillent (ou ont travaillé) dans ce domaine.
Afin de célébrer les 100 ans de Jean Pictet et l’héritage incommensurable et impérissable que laisse derrière lui cet artisan du droit international humanitaire, Christophe Lanord, co-fondateur du Concours Jean-Pictet, a émis l’idée de lui rendre hommage en publiant un ouvrage qui serait constitué exclusivement de contributions d’anciens participants au Concours (étudiants, membres des jurys et autres personnes ayant contribué à son organisation au cours des 25 dernières années). Sous la direction de Julia Grignon (ancienne participante au Concours Jean-Pictet, et désormais professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval) et grâce à la coordination de Jérôme Massé (ancien participant au Concours et étudiant à la maîtrise à la Faculté de droit de l’Université Laval), cet ouvrage en cours de préparation paraîtra en 2015 aux Éditions Yvon Blais (Québec) en partenariat avec les éditions Schulthess (Suisse) sous le titre Hommage à Jean Pictet par le Concours de droit international humanitaire Jean Pictet – A tribute to Jean Pictet by the Jean Pictet International Humanitarian Law Competition.
En attendant, notez que la prochaine édition du Concours Pictet aura lieu à Charlottesville (États-Unis) du 28 mars 2014 au 4 avril 2015 ! Les étudiants de l’Université Laval désireux de présenter leur candidature afin de représenter leur institution lors de l’édition 2015 du Concours peuvent le faire en remplissant le formulaire prévu à cet effet sur la page du site de la Faculté de droit présentant les concours de plaidoirie.