CHAIRE DE RECHERCHE
DU CANADA SUR LA JUSTICE INTERNATIONALE PÉNALE
ET LES DROITS FONDAMENTAUX

La sortie du Venezuela de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme

Yann Moynat

Yann Moynat est candidat à la maîtrise en droit de l’Université de Genève. Il a participé aux activités de la Clinique de droit international pénal et humanitaire de l’Université Laval dans le cadre de son échange avec cette université pour la session d’automne 2013. Dans ce cadre, il a travaillé en coopération avec une ONG genevoise pour la prévention de la torture. Yann est également titulaire d’un Baccalauréat en droit de l’Université de Genève. De plus, il poursuit des études en vue de l’obtention ultérieure du Certificat de droit transnational et envisage de suivre l’école d’avocature à Genève. Il s’intéresse tout particulièrement au droit humanitaire ainsi qu’à la protection internationale des droits et libertés des plus faibles. Il souhaite à l’avenir travailler pour une ONG qui promeut ces valeurs avant d’exercer lui-même comme avocat. 

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Nom de famille 
Moynat
Prénom 
Yann

Stéphanie Pépin

Stéphanie Pepin est candidate à la maitrise en droit avec mémoire à l’Université Laval. Elle détient un certificat en science politique et un Baccalauréat en droit, tous deux effectués à cette même université. Elle a occupé plusieurs postes de recherchiste en droit, notamment au bureau d’avocats Stein Monast s.e.n.c.r.l., au Secrétariat aux institutions démocratiques et à la participation citoyenne du Conseil exécutif du Québec ainsi qu’à la Faculté de Droit de l’Université Laval. Elle est boursière du Centre de recherche en sciences humaines du Canada et est tutrice au Centre de soutien aux étudiants des cycles supérieurs de la Faculté de droit de l’Université Laval. Elle s’intéresse notamment au droit constitutionnel, aux droits de la personne ainsi qu’au droit international des droits de la personne.

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Nom de famille 
Pépin
Prénom 
Stéphanie

Alexia-L. Martel S.-G

Alexia-L. Martel S.-G. est bachelière en droit et membre du barreau depuis 2012.  Elle a travaillée dans le domaine du droit civil et du droit familial. Elle s’intéresse tout spécialement au droit international des droits de la personne. En automne 2013, elle s’est inscrite à quatre cours en maîtrise en droit afin d’élargir ses connaissances sur le sujet.

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Nom de famille 
Martel S.-G
Prénom 
Alexia-L.

Laurence Bergeron

Laurence Bergeron est titulaire d’un Baccalauréat en droit, membre du barreau depuis 2011 et candidate à la maîtrise en droit international et transnational avec essai à l’Université Laval. Elle a œuvré plusieurs années au sein du Greffe du Tribunal de la jeunesse et des Centres jeunesses de Québec. Elle siège actuellement au sein de comités nationaux veillant à la mise en œuvre éventuelle de la Convention de 2007 sur le recouvrement international des aliments destinés aux enfants et à d’autres membres de la famille. Elle s’intéresse particulièrement au droit de la jeunesse, de la famille et international.

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Nom de famille 
Bergeron
Prénom 
Laurence
2 Mars 2014

 

Le 10 septembre 2013, la dénonciation et le retrait du Venezuela de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme (« CIDH ») devenaient effectifs. Cette dernière cessait donc d’avoir juridiction pour entendre les réclamations des Vénézuéliens fondées sur les violations de leurs droits protégés en vertu de la Convention américaine relatives aux droits de l’Homme. Au vu du contexte politique régnant depuis plusieurs décennies au Venezuela, il semble légitime de se questionner sur les raisons ayant mené à cette dénonciation ainsi que sur les conséquences qui pourraient en découler sur la protection des droits des citoyens vénézuéliens.

À titre liminaire, il convient de définir brièvement la notion de système régional de protection des droits de l’Homme. Un tel système peut être défini comme étant une organisation d’États qui complète les droits protégés au plan international et permet leur mise en œuvre efficace, s’adaptant mieux aux particularismes des régions géographiques. Il en existe trois à l’échelle internationale, soit les systèmes américain, africain et européen. En l’espèce, l’Organisation des États américains (« OEA ») regroupe tous les États du continent américain. Elle a été établie en 1948 à Washington et défend la démocratie et les droits de l’Homme dans les Amériques.

La Convention américaine relatives aux droits de l’Homme, aussi communément appelée Pacte de San José, a été adoptée en 1969 et est entrée en vigueur en 1978. Cette Convention a été ratifiée par vingt-cinq des trente-cinq États membres de l’OEA. Il n’en reste à ce jour plus que vingt-trois à la suite de la dénonciation par Trinité-Tobago en 1999 et par le Venezuela en 2012, entrée en vigueur en septembre 2013. La CIDH est instituée par le chapitre VIII de la Convention américaine des droits de l’Homme. Son mandat est d’interpréter et de faire appliquer cette Convention. La Commission interaméricaine relative aux droits de l’Homme a, quant à elle, été établie en 1959. Son but est d’émettre des recommandations aux États et de demander des avis consultatifs à la CIDH. Son siège est basé à Washington. Il s’agit des deux principaux organes chargés de la protection des droits de l’Homme dans le système interaméricain.

Le Venezuela a pu se retirer de la CIDH conformément à l’article 78 de la Convention américaine relative aux droits de l’Homme. En effet, cet article prévoit que les États parties peuvent dénoncer la Convention à l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de son entrée en vigueur, moyennant un préavis d’un an. Le Venezuela a respecté cette procédure et a dénoncé ladite Convention le 10 septembre 2012. Nonobstant cette dénonciation, le Venezuela reste membre de l’OEA.

La situation des droits fondamentaux sous la présidence d’Hugo Chávez

L’organisation Human Rights Watch (« HRW ») s’est penchée sur le traitement réservé aux droits de l’Homme sous la présidence d’Hugo Chávez, ceux-ci ayant, selon eux, été largement méprisés pendant son régime de 1999 à 2013, soit avant la dénonciation. Selon l’organisation, le régime de Chávez a porté atteinte à l’indépendance de la justice. En effet, HRW affirme que Chávez et ses partisans ont sanctionné les Vénézuéliens qui le critiquaient ou contredisaient sa politique, tels que les journalistes et les militants des droits humains. En 2004, ils ont modifié la composition des juges de la Cour suprême en accordant douze nouveaux sièges à des alliés afin d’assurer que les décisions reflètent leurs idéaux politiques. Dès qu’un juge ne suivait pas la ligne directrice établie par le gouvernement, ce dernier en subissait les conséquences. À titre d’illustration, l’organisation cite le cas de la juge María Lourdes Afiuni qui, en décembre 2009, a libéré conditionnellement un détracteur du gouvernement qui attendait depuis trois ans son procès pour une accusation de corruption. Cette dernière décision respectait, entre autres, les recommandations des observateurs des droits de l'Homme des Nations Unies et le droit vénézuélien. Toutefois, clairement en désaccord avec cette libération, Chávez et ses sympathisants ont ordonné l’arrestation de la juge qui s’est retrouvée pendant plus d’un an en détention préventive dans de mauvaises conditions. En février 2011, Mme Afiuni a été assignée à résidence à la suite de revendications des ONG et ce n’est qu’en novembre 2012 que le procès s’est ouvert. Face à un procès qui serait inéquitable, elle refusa de comparaitre et la procédure continua sans sa présence. De plus, d’après HRW, la liberté de la presse des Vénézuéliens a été brimée par le régime de Chávez, notamment lorsque ce dernier a adopté des lois autorisant la suspension arbitraire de chaînes de télévision, le tout en raison de la diffusion de paroles « offensantes » nuisant à l’image et l’intégrité du gouvernement. Au plan international, HRW indique que le gouvernement a refusé la supervision internationale relative aux droits de l’Homme ainsi que tous les efforts internationaux dans ce domaine. Il a également refusé l’inspection sur le terrain de la Commission interaméricaine des droits de l'Homme au sujet de la situation des droits humains au pays et décidé de ne pas se conformer à des jugements contraignants de la CIDH. En outre, l’organisation soulève qu’il a interdit la présence de toute ONG voulant remettre en question les pratiques des droits de l’Homme du pays tout en les accusant de miner la démocratie vénézuélienne. En effet, Nicolás Maduro, alors ministre des Affaires étrangères, avait affirmé en 2008 que « [t]out étranger qui viendra dans notre pays pour le critiquer sera immédiatement expulsé ». Ce portrait de la situation des droits de l’Homme établi par HRW illustre bien les manquements et problématiques à la protection interne des droits fondamentaux des Vénézuéliens.

Les motifs du retrait du Venezuela de la CIDH

L’emprise des États-Unis sur la CIDH

En 2002, le règne de Chávez est interrompu pendant 47h à la suite d’un coup d’État orchestré contre lui par Pedro Carmona. Cette prise de pouvoir forcée a été ouvertement reconnue comme étant légitime par la CIDH et les États-Unis. Cette prise de position a scandalisé le président Chávez et son ministre des Affaires étrangères, Nicolás Maduro, ce dernier affirmant alors que « [cette décision de la Cour] jetait une ombre sur la crédibilité de la CIDH qui a reconnu le gouvernement de facto de Carmona alors que ce n’était pas [un geste] démocratique ».

À plusieurs occasions entre 2004 et 2012, l’OEA a mis en garde le Venezuela contre les atteintes à la liberté d’expression, à la sécurité des personnes et aux droits politiques qui étaient commises dans le pays. D’ailleurs, en décembre 2008, la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême du Venezuela a jugé inapplicable une décision rendue par la CIDH et a demandé au pouvoir exécutif de dénoncer la Convention américaine des droits de l’Homme. Cet élément soulève de graves inquiétudes quant à la séparation des pouvoirs au sein de l’État.

Les autorités gouvernementales vénézuéliennes ont, elles aussi, exprimé à plusieurs reprises leur intention de se retirer de la CIDH et leur mécontentement contre celle-ci. Globalement, elles considèrent que la Commission et la CIDH sont partisanes, puisqu’elles serviraient exclusivement les intérêts des États-Unis. Cela explique sans doute pourquoi le Venezuela a rejeté un rapport de la Commission dénonçant un affaiblissement de la démocratie au Venezuela en 2010.

L’affaire « Raul José Diaz Peña »

Le retrait du Venezuela de la Cour n’est également pas étranger à l’affaire Raul José Diaz Peña qui aurait convaincu les autorités de la partialité de la CIDH. L’histoire débute en février 2003 où M. Diaz Peña et quelques complices se font arrêter pour avoir fait exploser plusieurs bombes au consulat général de la République de Colombie et au consulat d’Espagne dans le but de faire tomber le blâme de ces attentats sur le président Chávez et ses partisans, qui étaient outrés de la décision de Bogotá et de Madrid d’avoir eux aussi reconnu le coup d’État de 2002 comme étant légitime. Ce n’est que le 29 avril 2008 que M. Diaz Peña obtient un procès; il est condamné par un tribunal de première instance à neuf ans de prison pour terrorisme. En mai 2010, un juge lui octroie un régime de semi-liberté et il se réfugie aux États-Unis.

Le 12 novembre 2010, la Commission interaméricaine des droits de l’Homme, conformément aux articles 51 et 61 de la Convention interaméricaine relative aux droits de l’Homme, a présenté une requête contre le Venezuela concernant les violations des droits de la personne qu’aurait subies M. Diaz Peña depuis son arrestation en 2003. La Commission reproche au Venezuela d’avoir détenu M. Diaz Peña de façon arbitraire et illégale, invoquant que les conditions de détention dans lesquelles il a été maintenu ont eu un impact important sur sa santé, que le procès qu’il a subi était entaché de plusieurs irrégularités et qu’il n’a pas obtenu un recours effectif à un appel de la décision du tribunal de première instance. La Commission a demandé à la CIDH de rendre l’État vénézuélien responsable des infractions aux droits de l’Homme qui auraient été commises envers M. Diaz Peña bien que les recours internes n’aient pas tous été épuisés[1].

Comme il l’a été mentionné précédemment, le fait pour la CIDH de s’être saisie de cette affaire a été l’élément déclencheur des procédures officielles du retrait vénézuélien. C’était la première fois depuis sa mise en place qu’elle étudiait le cas d’un individu condamné dans son pays et dont le procès est toujours en cours, en violation de l’article 46 de sa propre Convention. Ce comportement a d’ailleurs suscité de nombreux questionnements eu égard à ses réelles motivations, questionnements auxquels elle n’a toujours fourni aucune explication.

Confrontées à cette décision de la CIDH, les autorités vénézuéliennes ont fait part de leur consternation et ont réitéré, le 28 juillet 2012, leur intention de se retirer de sa juridiction :

Le Venezuela se retire de la Cour interaméricaine des droits de l’homme par dignité et nous l’accusons aux yeux du monde d’être indigne de porter ce nom de droits de l’homme en apportant son soutien au terrorisme […]. La CIDH ne nous a même pas appelé pour nous consulter. Ici [au Venezuela], il y a eu un jugement, une condamnation, il y a des témoins qui ont affirmé que ce terroriste a fait exploser des bombes à l’ambassade d’Espagne et de Colombie. Cela a été prouvé.

Le Secrétaire général de l’OEA a finalement reçu la dénonciation officielle du Venezuela le 11 septembre 2012, dénonciation qui est devenue effective le 10 septembre dernier en vertu de l’article 78 de la Convention américaine relative aux droits de l’Homme. Le retrait du Venezuela de la CIDH a, sans surprise, causé un grand émoi auprès de divers organes chargés de veiller à la protection des droits de l’Homme à travers le monde. Amnesty International, notamment, a déclaré : « Ce retrait constitue un affront pour les victimes de violations des droits humains et pour les futures générations de Vénézuéliens qui ne pourront plus faire appel à cette instance supranationale lorsqu'ils ne parviennent pas à faire valoir leurs droits dans leur pays ». Le Parlement européen et le Haut-Commissariat des Nations Unies ont également formulé leurs craintes à cet égard, condamnant la sortie du Venezuela de la juridiction interaméricaine[2].

Les impacts du retrait du Venezuela de la CIDH

À la lumière du contexte politique qui règne au sein de cet État depuis de nombreuses années, les inquiétudes quant aux impacts qu’aura ce retrait sur les droits des Vénézuéliens semblent très légitimes. La problématique à l’égard des violations des droits de l’Homme au Venezuela est bien réelle, tout particulièrement en ce qui a trait à la condition des défenseurs des droits de l’Homme, des journalistes et des détenus. Ces divers problèmes n’auront vraisemblablement pas pris fin au décès d’Hugo Chávez en mars 2013 puisque son successeur, Nicolás Maduro, a été son bras droit pendant une longue partie de sa vie politique et partage la même vision que lui à ce sujet.

Le Venezuela étant partie à la majorité des grandes conventions internationales en matière de protection de droits de l’Homme[3] telles que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et son Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui permet le dépôt de communications individuelles, les Vénézuéliens disposent d’un recours alternatif pour assurer la protection de leurs droits. En effet, la soumission du pays aux examens périodiques universels du Comité des droits de l’Homme, dont le dépôt est attendu dans un avenir proche, pourrait également permettre de soulever les problématiques affectant ces derniers. Toutefois, un système régional de protection des droits de l’Homme se veut plus efficace pour combler les lacunes d’un système de justice national déficient qu’un organe onusien du fait de sa proximité géographique qui permet que son fonctionnement soit plus rapide et plus adapté aux particularismes des États de la région concernée.

La perte pour les Vénézuéliens d’un recours supplémentaire permettant de mieux protéger leurs droits apparait donc comme la principale conséquence du retrait du pays de la CIDH. Vu le contexte précédemment relaté, il y aura lieu pour les ONG et divers autres organes chargés de la protection des droits de l’Homme de surveiller de manière soutenue la situation de ces personnes. Bien que le Venezuela soit seulement le deuxième pays de la région interaméricaine à dénoncer la CIDH et à s’en retirer, il faut également souhaiter que cet événement ne crée pas un précédent ou un exemple à suivre, notamment pour les États du Sud.

 


Ce billet ne lie que le(s) personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.

 

[1] Voir les pages 3 et 4 de la source en hyperlien.

[2] Dans une résolution adoptée le 24 mai 2012 à propos du retrait du Venezuela de la Commission interaméricaine des droits de l’Homme, le Parlement européen énonce au paragraphe 2 qu’il « craint que le retrait du système interaméricaine soit de nature à isoler le Venezuela et à aggraver la situation des droits de l’homme ».

[3] Il est à noter que la majorité de ces instruments ont été ratifiés avant l’arrivée de Chàvez au pouvoir. 

Situations géographiques 
Juridictions internationales et nationales