Sophie Gagné
Titulaire d’un Baccalauréat intégré en affaires publiques et relations internationales (hon.) de l’Université Laval, Sophie complète actuellement une Maîtrise en droit sous la supervision des professeures Fannie Lafontaine et Julia Grignon, ainsi qu’un Baccalauréat en droit, toujours à l’Université Laval. Son projet de mémoire porte sur la qualification de la fin des conflits armés par les juges pénaux internationaux. Elle fait partie de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux et est membre du Centre interdisciplinaire de recherche sur l’Afrique et le Moyen-Orient. Sophie travaille également de manière étroite avec la Clinique de droit international pénal et humanitaire et le Partenariat canadien pour la justice internationale.
Du 1er au 3 novembre 2017 s’est tenu à Ottawa le 46e Congrès annuel du Conseil canadien de droit international (CCDI), intitulé cette année « Le Canada à 150 ans : Le retour de l’histoire pour le droit international ». Avec en trame de fond le 150e anniversaire de la première constitution canadienne, le titre du Congrès faisait référence à la contre-thèse de Jennifer Welsh relative au « retour de l’histoire », qui s’opposait à la thèse du politologue états-unien Francis Fukuyama relative à la « fin de l’histoire » (voir ici et ici). Selon la thèse de Welsh, qui est plus pessimiste que celle de Fukuyama, loin de s’être engagée dans un progrès perpétuel vers la paix et un gouvernement unique, l’humanité semble plutôt revenir à certaines vieilles habitudes « barbares » et « médiévales » que plusieurs croyaient oubliées.
C’est dans ce contexte qu’ont été traitées de nombreuses problématiques en lien avec la protection de la personne humaine en droit international. Ce billet se penche ainsi sur la place accordée aux droits humains ainsi qu’aux domaines connexes que sont le droit international pénal, le droit international humanitaire (DIH), le droit international des réfugiés et le droit des peuples autochtones, lors du 46e Congrès annuel du CCDI.
On peut d’abord déplorer l’absence d’un quelconque panel ou d’une quelconque communication en lien avec le droit international des réfugiés. On n’a fait qu’effleurer le sujet lors du panel sur les réponses canadiennes aux atrocités massives, plus précisément lors d’une question que j’ai moi-même posée, et qui portait sur la différence entre les niveaux de preuve exigés pour l’exclusion d’un individu du statut de réfugié (« raisons sérieuses de penser », article 1(F) de la Convention de 1951 sur relative au statut de réfugié) et pour la condamnation d’un individu lors d’une procédure pénale (« hors de tout doute raisonnable »). On peut se questionner sur ce choix, alors que la communauté internationale traverse la période d’afflux massif de personnes la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale. L’an dernier, deux groupes d’experts avaient été consacrés exclusivement à certaines problématiques liées aux migrations.
Néanmoins, outre cet oubli, le programme du Congrès était très riche en ce qui porte sur la thématique de la protection de la personne humaine en droit international. Trois panels traitaient exclusivement du droit pénal international ou transnational, quatre panels traitaient du droit international humanitaire, et un panel portait exclusivement sur les droits des peuples autochtones, sujet ayant été également traité au cours de la séance plénière d’ouverture par la professeure Brenda L. Gunn (University of Manitoba). En ce qui a trait au droit international des droits humains, il a fait l’objet de la conférence d’honneur de Dinah Shelton, ainsi que de la communication du professeur Stéphane Beaulac (Université de Montréal) lors de la séance plénière d’ouverture. Les panels en lien avec les domaines énoncés seront revus tour à tour, en ordre chronologique, puis suivra, en conclusion, une évaluation de la place accordée aux domaines en lien avec la protection de la personne humaine au Congrès cette année.
En ce qui porte d’abord sur la séance plénière introductive, un des conférenciers, le professeur Stéphane Beaulac, a traité du droit international des droits humains à travers son exposé sur la mise en œuvre judiciaire des obligations internationales du Canada. La professeure Brenda L. Gunn, quant à elle, a exposé une analyse originale des traités conclus entre la Couronne et certaines communautés autochtones canadiennes au regard du droit international. Malheureusement, étant donné qu’elle n’a pu être présente en personne, sa conférence a été donnée sous forme de vidéo, et l’audience n’a pu lui poser de questions.
À la suite de cette séance d’ouverture, le premier groupe d’experts, dont les communications portaient sur les réponses canadiennes aux atrocités massives, a donné le ton à une journée au programme bien chargé pour les adeptes de droit international pénal et de DIH. Un intéressant dialogue a eu lieu entre la professeure Fannie Lafontaine (Université Laval) et Linda Bianchi (Justice Canada) concernant les mesures à prendre vis-à-vis des individus suspectés d’avoir commis des crimes internationaux. La professeure Valerie Oosterveld (Western University), puis Hannah Woolaver (chargée de cours à la University of Cape Town), ont ensuite enchaîné avec des communications relatives au rôle du Canada dans la poursuite des crimes sexuels ou fondés sur le genre ainsi qu’au rôle de la société quant à la poursuite des crimes internationaux, respectivement. Le tout a été ponctué de quelques interventions pertinentes de la modératrice et nouvelle directrice du Centre canadien pour la justice internationale (CCJI) Amanda Ghahremani, concernant notamment le rôle et les intérêts des victimes lors de tels processus pénaux.
Le second groupe d’experts s’était donné pour mandat d’évaluer le rendement canadien pour tenir les compagnies extractives responsables des violations graves des droits humains qu’elles pourraient avoir commises. Après une brève introduction du professeur François Larocque (Université d’Ottawa) faisant état de certaines promesses politiques des dernières années qui visaient à engager la responsabilité de telles compagnies, Alain-Guy Sipowo (Université McGill) et Amanda Ghahremani (CCJI et Partenariat canadien pour la justice internationale, ou PCJI) ont exposé tour à tour les réparations pénales, puis civiles, auxquelles peuvent, ou pourraient éventuellement, avoir accès les victimes. Penelope Simons (Université d’Ottawa) a clos le panel en présentant les problématiques de violence sexuelle ou basée sur le genre liées à l’extraction transnationale.
La journée s’est terminée avec un groupe d’experts qui était une fois de plus de très haut calibre : les sommités François Bugnion (CICR) et Marco Sassòli (Université de Genève) nous ont entretenus sur les 150 dernières années de développement des lois de la guerre, accompagnés du lieutenant-colonel Paul Frost (Cabinet du Juge-avocat général) et de la modératrice Ellen Policinski (CICR). Bien que les exposés des panelistes semblaient s’adresser davantage à un auditoire de néophytes que d’experts du DIH, même pour ces derniers, il était intéressant de comparer les positions des orateurs, ainsi que d’en apprendre un peu sur l’évolution de celles-ci à travers le temps. Les sujets évoqués ont porté notamment sur l’instrument conventionnel le plus important selon les orateurs, sur la « guerre contre le terrorisme » et sur la guerre par procuration. Malheureusement, il m’est impossible de faire état de leurs positions respectives ici, étant donné que ce groupe d’experts était dirigé selon la règle de Chatham House.
La dernière journée du Congrès a débuté avec un panel portant sur le DIH dont le sujet était un peu moins accessible aux débutants, mais dont la pertinence dans un futur très rapproché est facile à percevoir. Il a en effet fait état du droit international applicable aux usages militaires de l’espace. La modératrice Elle Agnew (Agence spatiale canadienne) a d’abord brièvement exposé l’état des lieux en ce qui concerne l’évolution de la présence de satellites dans l’espace, puis Gilles Doucet (Spectrum Space Security Inc.) a expliqué à l’audience quelques règles élémentaires de physique relatives aux satellites. Le doctorant Bayar Goswami (Université McGill) et le colonel Rob Holman (Cabinet du Juge-avocat général) ont ensuite présenté le manuel MILAMOS (Manual on International Law Applicable to Military Uses of Outer Space) ainsi que les règles relatives à l’usage de la force dans l’espace, respectivement. Gilles Doucet a ensuite conclu en énonçant certains défis posés par l’application du DIH à l’espace.
Le deuxième groupe d’experts du vendredi m’a fait vivre un énorme dilemme, m’obligeant à choisir entre les panels « Les systèmes de justice militaire comme mécanismes d’imputabilité pour faire respecter le droit des conflits armés » (DIH et droit national pénal) et « Le retour du droit transnational pénal ». J’ai finalement opté pour le second, étant donné que deux co-chercheurs du Partenariat canadien pour la justice internationale en faisaient partie. Il a régné une grande collégialité entre les cinq membres du groupe d’experts, ce qui a ajouté une touche de détente et d’humour à un sujet autrement des plus sérieux. Introduite par Christopher Water (Windsor University), Joanna Harrington a d’abord présenté l’évolution qu'a connue le concept d’extradition depuis les années 1990. Rob Currie (Dalhousie University) a ensuite enchaîné avec un plaidoyer dénonçant le surplus d’attention et de ressources accordées au droit international pénal au cours des dernières décennies, au détriment du droit transnational pénal, dont l’objet (criminalité transnationale, terrorisme, …) affecte pourtant beaucoup plus d’individus au quotidien. Jeff Johnston (Justice Canada), seul praticien du groupe d’experts, a par la suite exposé la pratique du Canada en matière d’extradition, suivi de Sara Wharton (Windsor University), qui a conclu avec une comparaison du droit transnational pénal.
En début d’après-midi, Dinah Shelton, ex-juge à la Commission interaméricaine des droits de l’homme, a donné une conférence d’honneur sur les thèmes de la démocratie, des droits humains et de l’État de droit. Étant donné qu’elle se rétablissait toujours d’une attaque cérébrale subie dernièrement, sa détermination, non seulement à être présente, mais également à se lever pour parler, était des plus inspirantes. Son message était celui d’un combat sans relâche pour les droits humains, et de l’interdépendance de ceux-ci, de la démocratie et de l’État de droit.
Pour ce qui est des dernières séances simultanées, bien qu’un des groupes d’experts, à travers sa revue des développements cruciaux du droit international au cours de la dernière année, devait traiter du droit international humanitaire et du droit international du maintien de la paix, j’ai plutôt choisi d’assister à l’unique panel portant sur les peuples autochtones. Selon le titre inscrit au programme, il devait traiter, comme l’an dernier, de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies pour les droits des peuples autochtones. Néanmoins, il est évident que le CCDI a eu de la difficulté à trouver des conférenciers pour discuter de ce sujet, car non seulement les noms des intervenants prévus n’ont été ajoutés que peu avant le Congrès, mais quelques-uns d’entre eux se sont en outre désistés et ont été remplacés par d’autres à courte échéance. Cela a fait en sorte que certaines des présentations étaient brèves et peu étoffées. L’audience a néanmoins eu droit à des présentations passionnées de Sara Mainville (OKT) et de Marie-Claire Cordonier Segger (Centre de droit international du développement durable), qui a cédé son rôle prévu de médiatrice à Sébastien Grammond. Me Mainville a fait état des traités historiques conclus avec de nombreux peuples autochtones canadiens et a déploré le fait que l’article 35 de la Consitution canadienne, qui reconnaît les droits ancestraux des populations autochtones, n’ait pas marqué le début d’une ère de réconciliation comme il se devait de le faire. Comme piste de solution aux problèmes actuels, elle a d’ailleurs proposé de « moderniser » les traités historiques. Marie-Claire Cordonier Segger a, quant à elle, raconté certaines de ses expériences de travail avec des populations autochtones en Colombie-Britannique. Enfin, Oonagh Fitzgerald (CIGI) a traité de certains projets de ses jeunes subordonnées qui sont en lien avec les peuples autochtones, dans le cadre de ses fonctions à CIGI. Elle en a, par exemple, mentionné un qui consistait à effectuer un retour vers les langues autochtones, qui sont pour la plupart en voie de disparition. Il s’agissait notamment de traduire la Déclaration des Nations Unies pour les droits des peuples autochtones dans une ou des langues autochtone(s). À la clôture du panel, les conférenciers ont répondu très généreusement aux questions, y compris à celles portant sur les sujets les plus sensibles. Je pense ici en particulier à la mienne, alors que j’ai demandé si selon eux, advenant une reconnaissance par un tribunal canadien ou international qu’un génocide a été commis contre les peuples autochtones canadiens, cela pourrait faciliter une éventuelle réconciliation entre peuples autochtones et allochtones. Tous ont répondu par la positive.
Pour conclure, le 46e Congrès annuel du CCDI a eu un programme somme toute très riche en ce qui a trait aux présentations relatives à la protection de la personne humaine en droit international. Le droit international pénal et le droit international humanitaire ont été les domaines qui ont été les plus discutés, suivis par le droit international des droits humains. Le droit des peuples autochtones a été couvert de façon appréciable, avec un groupe d’experts et l’exposé d’une conférencière au cours de la séance plénière introductive. Enfin, comme mentionné précédemment, l’absence d’interventions sur le droit des réfugiés est décevante, à plus forte raison dans le contexte mondial actuel. Attendons de voir ce que nous réservera le Congrès lors de sa 47e édition.
Cette publication a été rendue possible grâce à la contribution financière du Fonds de recherche du Québec – Société et culture.
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Les réflexions contenues dans ce billet n’appartiennent qu’à leur(s) auteur(s) et ne peuvent entraîner ni la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux, de la Faculté de droit de l’Université Laval, de l’Université Laval ou de leur personnel respectif, ni des personnes qui ont révisé et édité ces billets, qui ne constituent pas des avis ou conseils juridiques.