Marie Prigent
Marie Prigent est diplômée d’un Master 2 de Droit International et Comparé de l’Université Toulouse 1 Capitole en France. Elle a également étudié le droit international lors de mobilités à l’Université Complutense de Madrid et à l’Université Laval de Québec. Elle a rejoint la Clinique de droit international pénal et humanitaire en janvier 2018 et y effectue toujours un stage de recherche. Ses recherches ont notamment porté sur la justice transitionnelle, la participation des victimes, les lois d’amnistie ainsi que les droits des défenseurs des droits humains. Ses domaines d’intérêt sont le droit international pénal, humanitaire ainsi que les droits de la personne. Elle préparera l’examen du Barreau du Québec à partir de janvier 2019.
Symposium de Quid Justitiae à l’occasion de la 17e Assemblée des États Parties [ASP17/AÉP17 (2018)]
Cette année encore, Quid Justitiae s’associe au Partenariat canadien pour la justice internationale à l’occasion de l’Assemblée des États Parties (AÉP) à la Cour pénale internationale, dont la 17e édition se déroule à La Haye, aux Pays-Bas, du 5 au 12 décembre 2018. Pendant cet événement, des représentant.e.s des États ayant ratifié le Statut de Rome ou y ayant accédé se rassemblent pour prendre des décisions cruciales concernant la Cour. De multiples événements parallèles sont aussi organisés par des organisations de la société civile pour stimuler les discussions et trouver des solutions aux problèmes qui entravent la réalisation du projet envisagé lors de l’adoption du Statut de Rome. Dans ce contexte, Quid Justitiae diffuse les billets écrits par les étudiant.e.s du Partenariat qui participent à l’AÉP. Ces billets résument, vulgarisent et analysent les événements qui surviennent à l’AÉP.
La dixième contribution à ce symposium est offerte par Marie Prigent et concerne la guerre contre la drogue au Mexique et les efforts visant à rendre justice aux victimes qui en découlent.
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Photo : Marie Prigent
Du 5 au 12 décembre 2018, se tenait la 17e Assemblée des États Parties (AÉP17) de la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye. C’était la première fois qu’elle siégeait depuis la notification de retrait du Statut de Rome transmise par les Philippines en mars dernier.
La décision des Philippines était une réaction à l’ouverture par le Bureau du Procureur d’un examen préliminaire concernant les crimes allégués commis depuis 2016 dans le cadre de la « guerre contre la drogue » lancée par le gouvernement. Pendant celle-ci, de nombreuses exécutions extra-judiciaires auraient été perpétrées par les forces de l’ordre au cours d’opérations policières.
Bien que vivement dénoncée par la communauté internationale, la décision des Philippines de se retirer du Statut de Rome n’a toutefois pas empêché le Bureau du Procureur de poursuivre son examen préliminaire, comme le prévoit l’article 127-2 du Statut de Rome. Ce dernier suit donc son cours et alimente les espoirs de justice des acteurs de la société civile au Mexique, qui dénoncent les crimes commis pendant la guerre contre la drogue qui s’y déroule depuis 2006.
Des crimes contre l’humanité dénoncés
L’escalade de violence liée à la guerre contre la drogue que connaît le Mexique depuis 2006 a été abordée par deux évènements organisés par la société civile dans le cadre de l’AÉP17 intitulés respectivement Drug-trafficking, Public Policy and Crimes against Humanity (7 décembre 2018) et From Impunity to Accountability? A new transitional justice policy for Mexico (8 décembre 2018).
Découlant de la politique de lutte contre le trafic de drogues initiée par l’administration Calderon et de la campagne de militarisation de la sécurité publique qui l’accompagne, cette guerre a notamment mené à l’arrestation et l’assassinat de chefs de cartels par les forces armées. Elle a aussi eu pour conséquence d’accroitre la violence liée aux successions, au partage de territoires entre cartels rivaux et à la mort de centaines de milliers de personnes.
Il est estimé qu’entre 2006 et 2015, sous les administrations Calderon et Peña, 250 000 personnes ont été tuées au Mexique dans ce contexte (p. 35). La crise s’est même intensifiée puisqu’en 2017, le Mexique a connu son pire bilan depuis 2006 avec plus de 25 000 assassinats.
Les acteurs de la société civile dénoncent non seulement la recrudescence de la violence et la commission de crimes graves internationaux mais également l’impunité que cette guerre contre la drogue a engendrée (98 % des crimes restent impunis). Ils déplorent le manque de capacité et de volonté politique pour enquêter sur le rôle de la police et des forces armées susceptibles d’avoir commis ces crimes.
Dans les cas où une enquête est menée, elle ne donne souvent pas lieu à une condamnation des auteurs. En effet, bien que les crimes aient augmenté de manière exponentielle depuis 2006, le nombre de procédures judiciaires et de condamnations reste à un niveau constant.
Pour contrer ce constat, la société civile, dont Open Society Justice Initiative, dénonce la commission de crimes contre l’humanité par les autorités gouvernementales et certains cartels (p. 16). Les homicides volontaires, disparitions forcées et actes de torture recensés répondent selon eux aux critères de l’article 7 du Statut de Rome.
La responsabilité de l’État pour les crimes contre l’humanité qui auraient été commis au Mexique ces 12 dernières années est difficile à établir. Le Statut de Rome requiert en effet la commission du crime « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cause ». En ce qui concerne le Mexique, il n’a pas encore été prouvé que les autorités avaient planifié ces actes de violences contre la population.
Les organisations mexicaines de défense des droits humains ont présenté en juin dernier un rapport au Bureau du Procureur de la CPI présentant les possibles crimes contre l’humanité commis par l’armée mexicaine pendant la première phase d’opération à Chihuahua entre 2008 et 2010. Le Sénat a également dénoncé auprès de la CPI ceux supposément commis par l’ex-gouverneur de Veracruz, Javier Duarte de Ochoa. Ces initiatives donnent espoir que justice soit rendue pour les victimes de la guerre contre la drogue au Mexique.
Un nouvel espoir de justice ?
Bien que l’ouverture d’une investigation par le Bureau du Procureur portant sur les crimes commis par les autorités au Mexique ne soit pas exclue, les espoirs d’obtenir justice se tournent vers les juridictions nationales depuis l’élection du président Andrés Manuel López Obrador, le 1er décembre dernier.
La nouvelle administration a proposé une modification des politiques sur les drogues et la sécurité nationale et a laissé ouverte la discussion sur la justice transitionnelle. Dans ce cadre, la justice transitionnelle est définie comme « l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation » (p. 7). Les experts présents à l’AÉP17 se félicitent de cette annonce, qui apporterait une réponse judiciaire en adéquation avec le contexte mexicain.
Dans ce cadre, des commissions de la vérité pourront être créées pour enquêter sur les crimes les plus graves de violation des droits humains. Elles devront garantir les droits essentiels à la justice, la réparation et la vérité et accompagner un processus judiciaire pour que le processus transitionnel soit reconnu par la communauté internationale et la CPI (article 17 du Statut de Rome).
Les experts rappellent que ce processus ne pourra aboutir à la paix et la réconciliation souhaitées qu’après la mise en œuvre de réformes au sein de l’État. L’armée mexicaine, qui assure aujourd’hui la sécurité de la population civile, ne peut en effet pas enquêter sur les crimes allégués puisqu’ils leur sont en partie imputés. Il faut donc que le Mexique démilitarise ses forces de sécurité et assure l’indépendance de son système judiciaire pour avoir une chance de réussir sa transition.
Dans le projet transitionnel du président nouvellement élu, est également prévue l’amnistie des crimes et délits non violents liés au trafic de drogue. Les crimes contre l’humanité ne seront donc pas amnistiés d’après la nouvelle administration.
L’utilisation d’une loi d’amnistie, notamment conditionnelle au partage d’information ou au démantèlement de groupes armés, peut effectivement favoriser la paix, mais ne doit en aucun cas s’appliquer aux crimes graves internationaux de la compétence de la CPI comme l’a rappelé Pablo de Greiff lors de l’évènement From Impunity to Accountability ? A new transitional justice policy for Mexico.
L’équilibre entre la paix et la justice est difficile à atteindre dans le processus transitionnel, mais essentiel pour l’établissement d’une paix durable. Si ces règles sont respectées, il y a bon espoir de voir la justice et la réconciliation triompher au Mexique. Mais, comme le prouve les exemples de la Colombie et des Philippines, le chemin est encore long.
Marie a participé à la 17e Assemblée des États Parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale au sein de la délégation du Partenariat canadien pour la justice internationale soutenue financièrement par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada grâce à un financement de la Clinique de droit international pénal et humanitaire de la Faculté de droit de l’Université Laval.