Philippe Larochelle
Me Philippe Larochelle est un des premiers partenaires de la Clinique de droit international pénal et humanitaire. Depuis son assermentation en 1998, il a développé une pratique du droit diversifiée, au Québec et à l'étranger.
Avocat brillant et chevronné, il a défendu plusieurs personnes accusés de crimes en lien avec le génocide rwandais devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et au Canada. Ses mandats internationaux incluent notamment la défense, au TPIR, de l'ancien ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Jérôme Bicamumpaka, et de l'ancien ministre du Mouvement associatif et de la Jeunesse, Callixte Nzabonimana. Il a aussi contribué à la défense de Callixte Mbarushimana devant la Cour pénale internationale ainsi que de Régent Boily et de Léon Mugesera au Canada et devant le Comité contre la torture.
Au Québec, il a œuvré en litige commercial chez Ogilvy, Renault et chez Goldstein, Flanz, Fishman. Il a rédigé de nombreux mémoires et plaidé à plusieurs reprises devant la Cour d'appel du Québec, dans des affaires civiles et criminelles. En 2006, il a obtenu un acquittement devant la Cour suprême du Canada dans l'affaire Jacques Déry c Sa Majesté la Reine.
Pour plus d'information sur les affaires relatives au droit international pénal, humanitaire et des droits de la personne sur lesquelles il a travaillées, consultez notre section sur les projets de la Clinique.
Le Canada et le Comité contre la torture : l'affaire Régent Boily
La dérive idéologique de notre cher pays se manifeste aussi devant les institutions internationales auxquelles il appartient. Le Canada a renvoyé Régent Boily au Mexique en 2007. Après d'interminables échanges devant le Comité contre la torture où le Canada a tenté d'obtenir le rejet de l'affaire tant pour des raisons procédurales que de substance, le Comité a conclu en janvier 2012 que le Canada avait violé la Convention contre la torture en procédant à cette extradition, compte tenu de l'existence d'un risque personnel et réel que Boily soit torturé, risque que n'avaient pas éliminées de façon satisfaisante les assurances diplomatiques reçues du Mexique.
Le Comité, dans sa décision, invite le Canada à prendre certaines mesures, certaines concernant directement Boily, d'autres concernant le système d'assurances diplomatiques, pour éviter que des situations semblables se reproduisent à l'avenir. Le Canada devait répondre dans les 90 jours afin d'informer le Comité des démarches qui avaient été entreprises afin de satisfaire ces demandes du Comité.
Jamais les représentants du gouvernement canadien n'ont même contacté les avocats de Boily pour discuter de la mise en place des mesures préconisées par le Comité. Dans leur réponse au Comité, ils se contentent simplement d'aviser ce dernier qu'ils vont continuer à faire le suivi consulaire du dossier. Le Canada réfère également à une affaire pendante devant la Cour fédérale pour justifier de ne pas donner suite aux autres recommandations du Comité, et esquive la question du suivi de son système d'assurances diplomatiques.
Pour bien comprendre le dossier, il faut savoir que Boily, après avoir contesté son extradition jusqu'en Cour suprême, a saisi le Comité contre la torture en invoquant l'article 3 de la Convention contre la torture, qui prohibe l'extradition d'une personne vers un endroit où il existe des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture. L'examen du Comité dans ce cadre se limite à l'existence ou non d'un risque de torture avant le renvoi. Ce qui se passe après ce renvoi, le cas échéant, ne constitue pas de l'information pertinente aux yeux du Comité.
En parallèle, et pour éviter que son recours soit prescrit, Boily a déposé une demande de réparation devant la Cour fédérale du Canada, alléguant qu'il avait effectivement été torturé à la suite de son renvoi dans la prison d'où il s'était échappé avant de revenir au Canada. Cette demande devant la Cour fédérale concerne donc des faits qui se sont déroulés après le renvoi de Boily au Mexique.
La duplicité du gouvernement fédéral apparaît pleinement quand on sait que, devant le Comité, le gouvernement a argumenté que l'allégation suivant laquelle Boily avait été torturé après son extradition au Mexique n'était pas pertinente pour décider si le Canada avait violé l'article 3 de la Convention. Devant la Cour fédérale, le gouvernement a plutôt insisté pour que tous les faits qui concernent l'évaluation du risque préalable de torture effectué par le Comité soient retirés de sa demande de réparation. Jusque là, la position du Canada reste cohérente.
Par contre, là où le bât blesse, c'est quand le Canada, après avoir perdu devant le Comité contre la torture, se rabat sur le litige en Cour fédérale pour créer un fallacieux prétexte pour refuser de répondre aux demandes du Comité. Ce qui est pire, c'est de voir qu'après avoir soulevé une panoplie de moyens procéduraux et substantiels, après avoir forcé pendant 6 ans les avocats de Boily à répondre à tous ces arguments, le gouvernement du Canada refuse abruptement et arbitrairement de continuer de se plier aux règles procédurales à l'intérieur desquelles le recours se déroulait jusqu’à ce qu'il perde.
Ce qui est carrément répugnant, finalement, c'est de voir qu'entre les affaires Boily et Mugesera, le Canada a démontré que son respect des règles du droit international allait en s'amenuisant, et qu'il se foutait dorénavant éperdument des injonctions faites par le Comité contre la torture. Je m'explique. En 2007, après que Boily ait perdu devant la Cour suprême, il s'est adressé au Comité contre la torture en alléguant le risque de torture. Le Comité a fait une demande de sursis au Canada. Le Canada a suivi les règles du jeu procédural et s'est adressé au Comité pour faire tomber cette demande de sursis. En 2011, Mugesera perd son dernier recours devant la Cour fédérale et fait face à la déportation au Rwanda. Il saisit le Comité contre la torture, qui demande un sursis. Le Canada indique publiquement qu'il n'entend pas respecter cette demande de sursis et ne saisit même pas le Comité contre la torture pour faire tomber cette demande de sursis.
Ces développements expliquent le ton et la forme des observations du 4 février 2013 au Comité contre la torture. Cette réponse devait être déposée en mai dernier, mais le cynisme et le mépris du Canada à l'égard du requérant dans ce dossier expliquent cette longue absence de réponse aux dernières observations du Canada. Finalement, l'insistance du Comité à obtenir ces observations malgré les délais écoulés et la vacuité du dialogue avec le Canada devant cette institution ont généré la prose qui suit.
Réponse de Régent Boily aux observations supplémentaires du Canada du 4 avril 2012 (document original) :
Madame, Monsieur,
Ode à la mauvaise foi
De mon pays, le Canada
C’est il y a maintenant un peu moins de 6 ans,
Que ce comité avait été saisi par votre requérant,
Alléguant en cas d’extradition au Mexique des risques de torture,
Il a choisi d’avoir recours à la présente procédure,
En effet, après une longue bataille juridique,
Et en se fiant également à des garanties diplomatiques,
L’état Partie, faisant fi des risques de torture,
À la prison dont il s’était évadé renvoie le requérant en pâture,
N’ayez crainte, lui disait-on, notre digne pays le Canada,
A mis sur pied un dispositif aux mailles serrées,
Pour s’assurer que cette torture point ne se matérialisera,
C’est donc en toute sécurité, que nous pouvons vous éjecter,
Quelle ne fut pas la déconvenue de ce pauvre requérant;
De se retrouver entre les mains de ces gardiens de prison qu’il craignait tant;
Et Boily de reboire la tasse,
À la prison de Zacatecas,
Qu’à cela ne tienne, se sont dit de naïfs avocats,
C’est devant le comité, que nous pourrons continuer le combat,
Et éventuellement exposer l’insouciance et la mauvaise foi,
De l’État pris à partie, le Canada,
En effet, entre juillet 2007 et avril 2011,
Le Canada a abreuvé ce comité d’au moins 6 réponses,
Invoquant moult subtilités procédurales,
Et même le recours en Cour Fédérale,
C’est le 13 janvier 2012, que ce Comité a finalement décidé,
Qu’en extradant le requérant, le Canada avait péché,
Et il a donc été demandé à ce Pays,
Dans les 90 jours, de fournir un suivi,
Or, ces observations du 4 avril 2012, encore une fois,
Laissent clairement voir, de l’État-partie, sa mauvaise foi,
Constatez ainsi qu’au terme d’une procédure qui s’est étalée sur 6 ans,
Le Canada choisit de réduire les conclusions et demandes de ce comité à néant,
Qu’à à dire ce froid pays, en réalité, après toute cette affaire ?
Qu’ils continueront de lui rendre des services consulaires,
Ces mêmes services consulaires, sûrement,
Qui devaient prévenir la torture, dans le temps,
Quoi d’autre, vous me demanderez ?
Encore cette affaire devant le Cour Fédérale, brandie devant le comité,
Autrefois comme un motif de non-épuisement des recours internes et donc de rejet,
Encore aujourd’hui comme une excuse, un prétexte, un vain sonnet,
Il est donc manifeste que la participation du Canada à cette joute procédurale,
Est en réalité un leurre hypocrite, une farce monumentale
Puisque dans la fable comme pour la torture,
La raison du plus fort est toujours la meilleure,
À quoi bon tous ces échanges, toutes ces justifications,
Si au terme de l’Exercice, le Canada se donne toujours raison ?
Quelle utilité, quelle valeur, aux conclusions de ce comité,
Si elles doivent être reçues avec autant de mépris et d’indignité ?
Malheureusement, pour le Canada, c’est d’une tendance lourde dont il s’agit là,
Puisque le même mépris a été constaté dans l’affaire Mugesera,
Où le Canada a indiqué qu’il n’avait que foutre des injonctions de ce Comité,
On peut donc se demander, si dans ce pays,
Il existe réellement, contre la torture, des garanties,
Quoi qu’il en soit, dans le présent dossier,
Le Canada a bien réussi à épuiser en vain les procureurs du requérant,
Qui à coups de réponse et de répliques se sont cassé les dents,
Sur la mauvaise foi
Du Canada