Gabriel Boisvert
Gabriel Boisvert est un avocat canadien ayant pratiqué en défense criminelle devant les juridictions d’instance et d’appel au Québec de 2014 à 2017. Ayant un intérêt marqué pour le droit international pénal, il a choisi de poursuivre ses études à la maîtrise en droit international et transnational (LL.M) à l’Université Laval sous la direction de la professeure Fannie Lafontaine. Il s’intéresse notamment au fonctionnement des juridictions internationales pénales et à leur coopération avec les États et les organisations internationales.
Gabriel a participé aux travaux de la Clinique de droit international pénal et humanitaire de l’Université Laval et s’est joint à la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux en tant que co-coordonnateur. Également membre du conseil d’administration de l’organisme sans but lucratif SHOUT Canada, Gabriel participe à l’organisation du programme Reflections on Rwanda (RoR). RoR est un programme éducatif au Rwanda qui permet une meilleure compréhension des impacts du génocide, des processus de justice réparatrice et de la réconciliation.
Symposium de Quid Justitiae à l’occasion de la 17e Assemblée des États Parties [ASP17 / AÉP17 (2018)]
Cette année encore, Quid Justitiae s’associe au Partenariat canadien pour la justice internationale à l’occasion de l’Assemblée des États Parties (AÉP) à la Cour pénale internationale, dont la 17e édition se déroule à La Haye, aux Pays-Bas, du 5 au 12 décembre 2018. Pendant cet événement, des représentant.e.s des États ayant ratifié le Statut de Rome ou y ayant accédé se rassemblent pour prendre des décisions cruciales concernant la Cour. De multiples événements parallèles sont aussi organisés par des organisations de la société civile pour stimuler les discussions et trouver des solutions aux problèmes qui entravent la réalisation du projet envisagé lors de l’adoption du Statut de Rome. Dans ce contexte, Quid Justitiae diffuse les billets écrits par les étudiant.e.s du Partenariat qui participent à l’AÉP. Ces billets résument, vulgarisent et analysent les événements qui surviennent à l’AÉP.
La neuvième contribution à ce symposium est offerte par Gabriel Boisvert et concerne la place des États non Parties à la Cour pénale internationale durant une Assemblée des États Parties.
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Pendant la première semaine de la 17e Assemblée des États Parties (AÉP) au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), certains États non Parties ont retenu l’attention des délégué.e.s présent.e.s. Comme nous le rappelions récemment, les États non Parties peuvent participer à l’AÉP en tant qu’observateurs et ont la possibilité, à ce titre, d’y faire des déclarations. Cette année, trois États observateurs ont pris la parole lors du débat général. Cette période offre aux États parties, aux États observateurs, ainsi qu’aux organisations de la société civile l’opportunité d’adresser leurs remarques générales en lien avec la CPI et de présenter leurs recommandations par rapport à ses priorités. Le présent billet présente les déclarations de trois États observateurs lors du débat général de l’AÉP17 et tire ensuite quelques conclusions préliminaires quant aux priorités de ceux-ci.
L’Iran insiste sur les difficultés et défis de la CPI
Premier État observateur à prendre la parole, l’Iran a indiqué qu’à ses yeux, la CPI fait face à plusieurs difficultés et défis. Elle doit d’abord mieux concilier deux de ses objectifs : la justice ne devrait pas être mise en œuvre aux dépens de la paix. Une application plus uniforme et constante du Statut de Rome fait aussi partie des recommandations de l’Iran afin d’éviter la mise en place de doubles standards et d’une justice sélective. Le délégué iranien a aussi insisté sur le renforcement des activités de sensibilisation de la CPI par la tenue de rencontres et de conférences qui mettent en valeur ses caractères apolitique, judiciaire et universel. Ce commentaire semble particulièrement pertinent lorsqu’on connaît les difficultés de la CPI à communiquer en Géorgie avec la population en général et les victimes en particulier.
L’Iran a également noté que la CPI doit fait face aux remarques acerbes d’un État (les États-Unis) qui souhaite l’affaiblir et menacer ses juges. Ces menaces confirment l’impression de l’Iran à l’effet que l’examen préliminaire en Palestine constitue un test pour la CPI qu’elle doit relever en répondant à l’appel de la justice plutôt que de céder à des considérations politiques.
La Chine défend vigoureusement la souveraineté des États non Parties
La Chine a été le second État observateur à prendre la parole lors des débats généraux. Le délégué chinois a appelé la CPI à écouter les préoccupations légitimes des États, notamment sur la question des immunités des chefs d’États. L’article 27 du Statut de Rome prévoit que les immunités ou la qualité officielle ne peuvent exonérer un individu de sa responsabilité individuelle au regard du Statut de Rome ni empêcher la CPI d’exercer sa juridiction à son égard. L’article 98 du même Statut prévoit toutefois que la Cour ne peut contraindre un État à agir à l’encontre de ses obligations en vertu du droit international en matière d’immunités. Selon la Chine, la CPI doit établir un équilibre entre ces deux dispositions. La question devrait, selon la délégation chinoise, être soumise à la Cour internationale de Justice en vue d’obtenir un avis consultatif.
La Chine rappelle également que la CPI devrait exercer une grande prudence dans ses actions pouvant avoir une incidence sur des États non Parties. Selon elle, la décision du 6 septembre 2018 de la Chambre préliminaire I a indûment étendu la compétence de la CPI à un État non Partie. Cette décision, qui propose, selon la Chine, une interprétation extensible de l’article 12-2-a du Statut de Rome, serait légalement insoutenable.
En ce qui a trait au crime d’agression, la Chine réitère que la compétence récemment activée de la CPI ne devrait pas saper la compétence du Conseil de sécurité de l’ONU (CSNU) de constater un acte d’agression prévue à l’article 39 de la Charte des Nations Unies. Ce commentaire doit être compris à la lumière du contrôle particulier exercé par la Chine en tant que membre permanent et, donc, disposant d’un droit de veto, sur les résolutions du CSNU.
Enfin, le délégué chinois a rappelé à l’AÉP que le Statut de Rome ne crée pas d’obligation pour les ressortissants d’États non Parties qui ont sciemment choisi de ne pas ratifier ce traité ou ses amendements. Ce commentaire vise certainement l’ouverture récente par le Bureau du Procureur d’un examen préliminaire concernant la déportation présumée du peuple rohingya du Myanmar (État non Partie) vers le Bangladesh (État Partie).
Cuba réitère l’indépendance de la CPI et le respect des règles de droit international public général
La dernière délégation d’un État observateur à s’adresser à l’AÉP lors du débat général a été celle de Cuba. La déléguée de cet État a d’abord réaffirmé l’engagement de son pays dans la lutte contre l’impunité. Ceci étant, Cuba maintient des réserves sur les mécanismes de saisie et de sursis aux enquêtes et poursuites contrôlés par le CSNU en vertu des articles 13-b et 16 du Statut de Rome. Cuba réitère son appui envers une CPI véritablement indépendante et non subordonnée aux intérêts politiques du CSNU.
Tout comme la Chine, Cuba insiste sur le respect par la CPI des principes du droit international public général, notamment la nécessité du consentement d’un État pour qu’il soit lié par le Statut de Rome. Cuba rappelle que la CPI n’a pas été établie pour remplacer les tribunaux nationaux et manifeste son inquiétude quant au précédent qui serait créé si la CPI entamait des procédures contre un ressortissant d’un État non Partie.
Finalement, Cuba considère que la définition du crime d’agression devrait englober non seulement l’usage de la force, mais également d’autres actes qui ont un effet sur la souveraineté des États.
Conclusion : les États non Parties ne veulent pas voir la CPI marcher sur leurs plates-bandes
En somme, les États observateurs rappellent à l’AÉP que la CPI opère dans le contexte plus large des règles du droit international public général. Ils réitèrent leur attachement aux règles relatives à la souveraineté des États et aux immunités des chefs d’États en exercice. En même temps, les États observateurs ne s’entendent pas sur l’indépendance dont devrait jouir la CPI par rapport aux instances politiques de l’ONU. La Chine milite pour un plus grand respect du rôle du CSNU alors que Cuba souhaite plutôt que la CPI conserve son indépendance face à l’ONU. Tout compte fait, les allocutions de ces États non Parties permettent d’en apprendre un peu plus à propos des défis qui attendent la CPI en vue d’atteindre son objectif d’universalité.
La publication de ce billet et la participation de Gabriel à la 17e Assemblée des États Parties à la Cour pénale internationale sont financées par le Partenariat canadien pour la justice internationale et le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.